Ruiko, mariée à un homme maladivement jaloux, se transforme en insecte pour échapper à sa colère. Contre toute attente, l’homme s’en accommode et laisse la maison dans une obscurité permanente, appesantie par la poussière et les filaments arachnéens. Mais au fil des pages de ce manga, la folie étend son piège et le lecteur commence à avoir des doutes sur qui imagine quoi. C’est avec cette histoire que Kazuo Umezu entame le recueil édité aujourd’hui en français. Publiés dans les années 68 à 73, ces récits étaient destinés à un public féminin, frissonnant à la lecture de ces histoires d’hommes et de femmes trompés sombrant dans la folie et l’angoisse.
Visions saisissantes
Célébré comme le maître du manga d’horreur, Umezu nous plonge dans l’ambiance de ces films bis à l’atmosphère pressante et aux personnages carrés qui ne laissent pas le moindre espace à la parodie. Le trait, un peu hésitant, de ces planches au noir vibrant rappelle celui de ces B.D. bon marché qui osaient ce que n’osaient pas les sages illustrés pour la jeunesse. Peu de traits suffisent à créer des visions saisissantes. Les hommes bâtis comme des baraques et les femmes comme des mamans ou des putains semblent toujours surgir de l’obscurité comme des personnages tatoués sur les poitrines de mauvais garçons.
Récits fiévreux
Il y a du Edgar Allan Poe dans ces récits fiévreux comme dans cette histoire où un homme rejeté par sa femme décide de la tuer en lui passant dessus en voiture. Pas de chance pour lui, le cadavre sur le bitume n’a plus de tête, une tête qui va venir le hanter jusqu’à la fin de ses jours. Dans une autre histoire, Hideo, condamné à mort pour un crime qu’il n’a pas commis, vit toute la vie heureuse qu’il aurait pu vivre grâce à la flamme d’une bougie mystérieusement apparue dans sa cellule.
Les dédales de la folie et de l’obsession
Ce que voient les personnages est toujours bien plus horrible que ce que l’image pourra montrer. La terreur que distille Umezu est une l’angoisse psychologique qui joue sur tout ce que les non-dits laissent imaginer. Les histoires d’amour sont toujours ébranlées par des drames et la vie n’est peut-être au fond qu’une illusion, le miroir d’une autre vie. Explorant les dédales de la folie et de l’obsession, les personnages de ces histoires sont les produits d’une période où l’horreur de la guerre est derrière, le futur gage de bonheur et de prospérité, et toute contestation de l’ordre moral et social inenvisageable. Dans ce carcan, les dérèglements ne peuvent venir que de l’intérieur.
La maison aux insectes, Kazuo Umezu, Le Lézard Noir, 224 p, 15 €, Disponible sur BAZAR e-SHOP