Et si on osait (se) questionner un peu plus? Le fil de la pensée décalée, curieuse et philosophique de notre chroniqueur Simon Brunfaut au lendemain de la première soirée des Nocturnes Du Sablon.
1. Le plaisir gustatif n’est-il pas le plus nocturne et le plus indiscret des plaisirs ?
Le plaisir pris lors d’une bouchée – d’une sensualité extrême et infinie – n’est-il pas proche de cette jouissance de l’indiscrétion qui consiste parfois à observer à la dérobée par une fenêtre entrouverte, l’entrebâillement d’une porte ou le froissement d’une tenture ? N’est-il pas le plaisir du curieux devant la lorgnette ou le verrou d’une chambre, à la tombée de la nuit ? N’est-on pas d’abord curieux par son palais, avant de devenir gourmand par amour ?
2. Dira-t-on jamais assez l’importance que la cuisine accorde aux couleurs, et notamment au gris?
Lors d’un repas, il faut en effet savoir se griser tout en arborant, sous une tignasse d’herbes folles, de fières marques de peaux rouges sur les joues. À ce propos, la cellule de dégrisement n’est-elle pas le cachot le plus délicat, celui où l’homme rêve de vies salées et de « confitures de crimes », comme disait Henry Levet ?
3. Avons-nous oublié l’origine du « bon goût » ?
Comment juger correctement une oeuvre d’art quand on ne comprend pas une coquille de moule ou des ris de veau, lorsqu’on est lourd comme un plat trop gras ? La salle d’un restaurant n’est-elle pas la meilleure salle d’entrainement pour garder la forme artistique ?
4. Rossini a fini dans le tournedos ; Brillat-Savarin dans le fromage?
Et si le problème de la réincarnation consistait, dans le fond, à savoir donner son âme à un paté plutôt qu’à Dieu ou au Diable ?
5. Le ventre est-il le terminus du plaisir?
Ou, au contraire, le coussin gonflable qui le fait sauter jusqu’au coeur ?