Le resto
Le Tournant porte bien son nom : tout y relève de l’arrondi. Ici rien d’anguleux ou de brusque, mais seulement une courbe large – rappelée par la forme du bar – qui fait penser au bras d’un ami qui se pose sur votre épaule. Cette rondeur n’empêche cependant pas la rigueur. Sous des dehors « simples », cette manière d’aller toujours à l’essentiel, cette cuisine n’oublie pas pour autant de surprendre ; car le Tournant est à vrai dire aussi rond que carré, construit comme une bonne musique. Cette maîtrise de l’harmonie permet à tout moment la libre improvisation. En cuisine, on s’accorde souvent à penser que les mots sont importants. Or ici ils se révèlent superflus ; de la même façon que la valeur esthétique est en ce cas entièrement soumise aux plaisirs gourmands. Il faut voir le chef se balancer dans sa cuisine, animé par des rythmes lointains qu’il appelle de ses grandes mains, tout en faisant plâner des esprits soul dans toute la pièce. On devine son sourire ; on en oublie presque qu’il est à l’ouvrage. Il y a une raison à tout cela : la cuisine est affaire de musique plus que d’images. La cuisine est avant tout une voix, un groove qui dicte la ligne mélodique d’un menu, se module à travers lui, scande les plats les uns après les autres. C’est pourquoi on dirait que le chef chante comme un crooneur, qu’il slame avec ses saumons, qu’il confond ses gambas avec des saxophones. Quoi qu’il en soit, il vous prend par les sentiments. Cette fois-là, son chant a débuté par une bulle de Prosecco, pour descendre ensuite dans une bulle sous-marine avec un saumon allié au yuzu. Suit une légère remontée à la surface, entre terre et mer, avec un cabillaud aux accents de foie gras. S’avançant un peu plus loin sur terre, et bien aidés par la sélection de vins naturels de chez Titulus, on poursuit par l’échine de porc qui se mélange à des tonalités subtiles de caramel. Le final se déroule dans un nuage de chocolat, avec d’un coté un soleil de mandarine, de l’autre un sorbet à la frangipane et, un peu plus bas, un macaron. La boucle est bouclée. Restent les variations sur le même thème et une alternative : devenir Gene Kelly s’il pleut et que vous trouvez un lampadaire ; se mettre au bebop, s’il s’agit d’une chaude nuit d’été et qu’il vous prend l’envie de voler comme Charlie Parker.
L’adresse
Le tournant, 168, Chaussée de Wavre, 1050 Ixelles, T. +32(0) 2.502.61.65. restaurantletournant.com. Ouvert du lundi au samedi soir (19Hh à 22H30) et du lundi au vendredi midi (12h à 14h)
Le chef
Après des études de commerce, Laurent Balancy a d’abord officié durant deux ans dans le restaurant Inada, y parachevant sa formation aussi bien en cuisine qu’en sommellerie. Il revendique une cuisine simple, gourmande et généreuse, au plus proche du produit. Il aime marier les marqueurs forts de la cuisine française de bistrot avec les inspirations réunionnaises tout en faisant place, ici et là, à quelques notes asiatiques.
Sa recommandation
J’apprécie particulièrement le saumon fumé tiède aux pommes granny de chez Inada
Restaurant Inada, 73, Rue de la source, 1060, Saint-Gilles T. +32 (0) 2.538.01.13 www.inada-restaurant.be
ouvert du mardi 12h-14h30 et 19hà22h au samedi soir 19h à22h. Fermé le samedi midi, dimanche, lundi et jours fériés.