Le Wiels a dix ans. Pour marquer cette étape, le centre d’art contemporain s’interroge sur le rôle d’un musée dans la ville et le monde d’aujourd’hui. Il y répond avec 47 artistes et Le musée absent, une magnifique exposition qui s’étend sur trois bâtiments de l’ancienne brasserie.
Dans son exposition Serendipity au Wiels en 2009, Ann Veronica Janssens avait déjà installé une œuvre sur le toit-terrasse du bâtiment. La vue y est magnifique, on ne peut rêver une plus belle ouverture sur la ville, ses quartiers populaires et multiculturels et sur le monde. Poétique et conceptuelle, l’artiste travaille les espaces, la lumière, le brouillard qu’elle rend tangibles et sensibles. Le ciel bruxellois est une toile de fond et la piste d’envol de Volare, sa dernière installation. Dans la cage aux angles bleu, des pigeons voyageurs prêtés par les colombophiles du Cureghem Center. Les oiseaux s’envoleront sans entraves et reviendront s’y abriter quand ils le veulent. Fascinée par les capacités d’orientation des volatiles, l’artiste y voit aussi une métaphore de l’enracinement, du déracinement et de la traversée des frontières.
Un musée comme un forum de discussion d’échanges. Un lieu de partage et de discussion comme dans Human Ressources, l’installation de l’artiste colombien Oscar Murillo. Des personnages sont assis sur des gradins. Ils semblent prêts à inviter le public à joindre leur discussion. Leurs vêtements bourrés de tissu et leur tête faite de papier mâché, comme les effigies promenées lors de fêtes populaires. Ils sont habillés comme s’ils revenaient de l’usine ou des champs. Malgré les visages impassibles, cette installation dégage un esprit festif. A défaut de retrouver tous ces gens dans un musée, ils y sont en effigie et rappellent que la réalité sociale est un des sujets de l’art contemporain. Comme ce fut le cas depuis longtemps.
Le duo français Dewar & Giquel développe une œuvre entre la relecture de l’histoire de l’art et celle des pratiques artisanales. Attirés par les sculptures monumentales, ils brouillent les pistes entre l’archéologie et l’art contemporain. Leur vase en forme de pied était-il destiné aux libations en l’honneur d’un Dieu oublié ? Le bas relief de panneaux de céramique répétant le même motif carpe miroir pourrait avoir été dégagé d’un temple et en même temps se décalquer des répétitions numériques. Ce sont des pièces qui posent question parce que reconnaissables et difficiles à identifier.
Le monde nous abreuve d’images, Rosemarie Trockel les juxtapose dans de fascinants collages. Les artistes et les musées sont la pour trier, décoder et donner sens à ses images. Avec Flagrant Delight en 2012, l’artiste allemande a fait l’objet d’une rétrospective au Wiels. Depuis une vingtaine d’années, elle travaille une grande diversité de médiums qui s’étend de la sculpture au collage, en passant par le dessin, la vidéo, l’installation, les toiles tricotées ou la céramique. Il est physiquement impossible de regarder et d’appréhender une quinzaine d’images du même regard. C’est un exercice intéressant et intime de balayer, de s’arrêter et de revenir sur ces images qui racontent la violence, la politique, les médias et l’art de notre monde.
L’art n’est pas l’apanage des musées. Il peut se cacher dans les maisons et a longtemps prospéré dans les intérieurs bourgeois. Dans son installation au dernier étage du Wiels, Marina Pinsky détourne les codes de l’espace domestique pour un regard décalé sur la vie privée. La pièce est presque vide. Aux murs, un papier peint qui repend les lieux de pouvoirs bruxellois nimbés de pluie. Plaqués contre le mur, des moulages d’anciens mécanismes de serrure provenant des collections du Cinquantenaire. Fermer à double tour pour se protéger de quoi? Du mur ? Heureusement, on peut sortir de la pièce en poussant une lourde porte bardée d’une serrure qui dévoile ses rouages les plus secrets. Pour mieux enfermer ?
Cachées aux regards de tous, les caves offrent un havre sanctuaire imprenable pour les comploteurs et terroristes. Le sous-sol de Métropole, accessible par un escalier étroit abrite l’installation de Harald Thys & Jos de Gruyter. Il y est question d’un coup d’état fictif qui aurait fait trembler la Belgique des années 90. Les artistes y ont rassemblé les dernières traces de cette tragique et lamentable épopée. Les portraits des civils enrôlés pour cette junte fantoche, des vidéos baveuses d’exactions, une arme secrète développée pour l’Empereur Ro. Et enfin, le bureau du dictateur retrouvé presque intact dans les caves d’une villa de Jodogne. Il est troublant de voir cet épisode tragique qui a suscité des destructions et des morts réduit à ces quelques traces lacunaires. Que racontera-t-on de notre époque dans 30 ans ?
L’installation de Mark Manders dans le bâtiment en ruine du Métropole clôt somptueusement le parcours. L’artiste néerlandais y a installé ce qui ressemble à un atelier. Des sculptures en argile de visages inachevés, parfois habillés de bâches en plastique. A la décrépitude des murs écaillés par le temps et les vandales répondent des sculptures d’une douce sérénité. Ces visages lisses et impassibles ont-il été abandonnées ou protégés de l’inéluctable décomposition par l’artiste ? Le doute s’installe. L’art et les musées pour sauvegarder la mémoire du passé, mais surtout du présent. Une mission pour l’avenir en somme.