Dans l’interview qu’il nous a accordé, Mehdi Georges Lahlou, qui expose actuellement au Botanique, nous explique pourquoi il pratique si volontiers l’auto-portrait, pourquoi le sacré et l’humour ne sont pas incompatibles et pourquoi ça fait du bien de se perdre.
Mehdi Georges Lhalou préfèrerait ne pas parler de son travail, laisser ses œuvres se défendre seules et dialoguer avec le public, mais ils sait aussi très bien que sur les sujets qu’il aborde, quand ils sont liés aux identités culturelles et religieuses, les opinions sont souvent bien tranchées. Le jardin qu’il nous invite à découvrir au Botanique est un espace où les tabous n’existent pas, où l’on peut parler de ce qui nous entoure, de la coiffure de Nefertiti, aux chaussures d’Abraham, aux déguisements de la madone et à l’humidité contenue dans la semoule de blé.
Vous pratiquez souvent l’autoportrait ou est la limite avec l’auto-centrisme ?
Au début de ma pratique artistique, je faisais de la performance, ce qui m’intéressait, c’était la mise en jeu complète de mon corps. J’avais besoin de déconstruire ma propre identité en expérimentant face au regard des autres pour mieux la diversifier. On nous assigne des cultures, des identités, des religions en fonction de notre apparence, ce qui fait de cette assignation est une bonne matière à travailler. Ce que l’on représente, est-ce vraiment ce que l’on pense et ce que l’on est, est-ce vraiment la réalité? L’auto-portrait est pour moi un médium hyper important pour l’appropriation du personnage que la société nous colle dessus. C’est en même temps une dissociation puisque ce n’est pas moi, mais lui. Après, j’ai tellement utilisé l’autoportrait que c’est devenu une matière et plus un visage, du coup il devient porteur pour l’œuvre sans être l’œuvre. Ce n’est pas l’autoportrait qui est l’homme et inversement.
Votre travail aborde le sacré par la distanciation et l’humour, est-ce une manière d’apaiser les tensions ?
Est-ce vraiment sacré tout ce qu’il y a ici ? Ce qui m’intéresse, c’est le processus de sacralisation, comment on va être amené à sacraliser un objet ou un autre pour justifier ou séparer une culture d’une autre. Les esthétiques religieuses infusent la culture qu’on a assimilé ici et qu’on pourrait assimiler à d’autres endroits. Du coup, c’est une matière, comme l’autoportrait, assez intéressante à travailler parce qu’elle n’est pas uniquement porteuse de la religion, elle est porteuse de beaucoup d’autres choses et de toutes les temporalités que ces pièces-là, ces œuvres, ces images ou ces icônes vont convoquer.
A quoi peut servir l’art et le vôtre en particulier ?
J’en sais rien Je ne suis pas activiste pour un sou. Je sais que mon travail peut être amené à une vision politique parce que j’utilise des objets qui sont forts en symboles et contextuellement parlant assez compliqués. Mais avant tout, je raconte des histoires comme un écrivain, un musicien, un poète pourraient créer une ambiance ou raconter une histoire. L’utilité que j’aimerais susciter par mon travail, c’est une contemplation, un regard diversifié par rapport aux choses et peut-être l’abandon des sens exclusifs qu’on pense avoir sur les choses pour y substituer mille autres sens.
Un changement de perspective ?
La perspective, c’est physique mais pas uniquement. Chaque œuvre est expérience parce qu’elle invite à la déambulation. C’est en tournant autour des œuvres qu’on fait émerger les sens multiples. La déambulation est importante parce que chaque point de vue, chaque perspective, chaque regard va amener à une autre idée. Quand on tourne autour des 72 vierges, il y a un moment où c’est très phallique, puis d’un coup c’est très ombragé et ensuite on comprend que ce sont des vierges et on voit que c’est un auto-portrait masculin. Et en plus, c’est d’un blanc immaculé et hop une autre entrée. Tout ce déplacement, cet exercice, cette promenade que j’invite à chaque œuvre est une promenade physique, intellectuelle, sensorielle et sonore.
Vous avez choisi Simon Njami comme commissaire, est-ce son travail pour l’art africain ?
Non certainement pas. L’art africain, ça ne veut rien dire. J’ai demandé à Simon d’être commissaire parce qu’il propose une vision que j’aimais bien. Il a une vision d’écrivain. Il conçoit son commissariat comme une nouvelle à lire. C’était ça aussi qui m’intéressait. Ramener mon travail dans un autre champ de lecture. Ce que j’aime aussi c’est, par la rencontre, faire voyager mon travail, dans les idées et dans les mots qui me restent après la rencontre. Ça aussi, c’est important. J’ai envie de dés-ancrer mon travail qu’il soit de nulle part et de partout en même temps.
Exposer au Botanique dans ce quartier, est-ce pour vous un challenge particulier ?
Je ne comprends pas ces histoires de quartiers. Pour moi un quartier musulman, ça ne veut rien dire, un quartier de prostituées ça ne veut rien dire, un quartier de flamands. C’est un musée avec des gens autour. Je ne suis pas sur qu’on peut stigmatiser une population en particulier. Mon travail est fait pour tout le monde, pour toute la diversité possible. Je n’ai pas une envie personnelle et systématique d’inviter les gens issus du monde arabo-musulman. J’aimerais que tout le monde puisse venir ici, qu’on puisse être ici ensemble et en parler. Ce qui est bien, c’est que l’approche esthétique est un point de départ et après on peut comprendre ou pas ce qui s’y passe. En tout cas, je serais heureux que la communauté arabo-musulmane vienne, mais avec tout le monde. Que tout le monde soit là.
En approchant la religion et le sacré, votre travail peut susciter des incompréhensions ?
Oui, il peut y avoir des incompréhensions, mais les incompréhensions font partie du travail perpétuel de l’artiste. C’est comme ça qu’on fait émerger des choses. L’incompréhension, c’est la problématique humaine. Quand on est mis face à quelque chose qu’on ne comprend pas, on peut parfois la rejeter. Et c’est aussi très bien, pourquoi pas ? Mon objectif n’est pas tellement de dénoncer ou de critiquer, mais plutôt de dépasser les tabous pour parler autrement du sacré. Ce ne sont d’ailleurs pas uniquement les musulmans qui vont manifester cette attitude de rejet. Ces œuvres-là sont défendues par de nombreuses personnes de la communauté arabo-musulmane. On m’a déjà dit que ce sont des travaux nécessaires, primordiaux pour faire ré-exister des choses et les penser. Il peut y avoir du rejet et du conflit, mais il peut y avoir de la défense et de l’amour.
J’espère bien !
Oui mais c’est pour moi important.
Les œuvres exposées ont-elles besoin d’être désamorcées, expliquées ?
Oui et non. Des fois, c’est dur de ne rien expliquer parce que les gens sont complètement perdus, mais pourquoi pas. Etre perdu, ça fait du bien, non ? Quand le doute est là, on peut vivre.