GILBERT & GEORGE
ONT LA BARBE QUI PIQUE

Gilles Bechet -

50 ans déjà, que Gilbert and George, affichent leur flegme imperturbable et leurs costumes trois pièces sur la scène artistique mondiale. Dans leur dernière série, The Beard Pictures exposée à la galerie Albert Baronian, le duo poursuit son impertinent travail iconographique en se laissant envahir par des barbes protéiformes.
Beard of Judah © Gilbert & George
Dans le monde de Gilbert & George, la logique s’envole et s’enroule comme leurs drôles de barbes où les poils sont avantageusement remplacés par des fleurs, des feuilles, des lapins aux langues fourchues ou des fils barbelés. Comme de facétieux grands oncles de Tweedledum et Tweedledee qui auraient abusé de potion merveilleuse, leurs corps peuvent s’allonger, se tasser et prendre toutes les formes imaginables. Mais jamais ils ne cillent de leurs yeux fixes comme pour nous rappeler que derrière leur flegme impassible pointe une critique acide des sociétés contemporaines.
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Beard Garden © Gilbert & George
La multiplication des grillages clôtures et barbelés est, pour eux, un témoin de l’obsession sécuritaire de nos sociétés. En balade dans les rues Londres, ils prennent en photo ce qui les interpelle, les systèmes d’alarme sur les façades des maisons, les vieux médaillons commémoratifs, et ont ramené des rouleaux de barbelés et de clôture métalliques dans leurs studio. De leur jardin, ils ont ramassé des monceaux de feuilles mortes. Pour faire ce qu’ils ont toujours fait raconter le monde et ses tabous, en images.
Beard Watch © Gilbert & George
Quand ils ne composent pas leur images surréalistes et grotesques, Gilbert & George ont rassemblé ce qu’ils ont appelé leur fuckosophy, ou encore un recueil de 4800 phrases contenant le mot fuck. Un jeu avec les mots et avec les non-dits qui offre, disent-ils, à tout un chacun une philosophie accessible. Ils comptent même poursuivre l’exercice avec leur Godology où s’accumuleront des phrases absurdes contenant le mot Dieu.
Beard Guard © Gilbert & George
Pour ces Dupond et Dupont de l’art contemporain britannique, l’autodérision et l’emploi d’un langage fleuri est une seconde nature. Sur un de leur premier double auto portrait où ils affichaient un franc sourire et une fleur à la boutonnière, les artistes s’identifiaient comme George the cunt et Gilbert the shit, expressions qu’il n’est sans doute pas nécessaire de traduire. Les excréments, les mots orduriers sont pour ce couple aux apparences policées, la première manifestation de la vie. L’autre jour, à l’occasion d’une dédicace, quelqu’un nous avait demandé d’écrire quelque chose de vraiment dégoûtant, c’est pour ma femme et je l’aime tellement, a-t-il ajouté. J’ai trouvé ça touchant.
Portrait Gilbert & George © Galerie Albert Baronian
Duo oui, mais évidemment pas jumeaux, puisque la moitié du couple artistique aussi britannique que l’on puisse l’être est originaire du Tyrol italien. C’est d’ailleurs ce qui les a rapprochés quand ils se sont rencontrés en 1967 dans la section sculpture de la St Martins School of Arts. George étant le seul à pouvoir comprendre l’anglais très approximatif que baragouinait Gilbert à son arrivée dans le Londres du swinging sixties, pas forcémment accueillant avec les étrangers.
Beard cup © Gilbert & George
Gilbert & George sont deux personnes différentes mais il n’existe qu’un seul artiste. Inséparables, ils reconnaissent ne pas pouvoir vivre l’un sans l’autre plus de cinq minutes. Mais nous conservons des salles de bain séparées!  avait assuré George à un journaliste du Daily Telegraph. Leurs personnages qu’ils ont façonné en public s’est nourri de la revanche des classes populaires sur la bourgeoise et les classes aisées. Ils en ont parodié les postures avant de les accaparer sans nécessairement en adopter toutes les valeurs. Royalistes, favorables au Brexit, ils sont aussi viscéralement athées et accueillants envers les migrants et les exclus.
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Beard Garden © fiilbert & George
Gilbert & George sont les seuls artistes vivants à avoir occupé tout un étage de la Tate Modern pour une grande rétrospective en 2007. Pourtant déçus par le manque d’attention dont ils ont bénéficié par la suite de la part des grandes institutions artistiques londoniennes, le duo a mis en chantier la construction, à quelques rues de leur studio, d’une fondation qui rassemblera et exposera l’essentiel de leur œuvre. C’est dans une ancienne brasserie du 18ème siècle, rénovée par le neveu architecte de Gilbert, qu’ils espèrent pouvoir y accueillir les premiers visiteurs d’ici deux ans.