Primitif et hypnotisant
Au porno, on associe des images corps nus aux proportions plus que parfaites, des positions acrobatiques, des fluides corporels, un décor vite oublié et une narration réduite à une grammaire de grognements, de feulements, de soupirs et de frottements humides. Mais le porno peut être autre chose en misant sur l’imagination et en éjectant le spectateur du siège trop confortable du voyeur.
C’est le pari de sexblotch, un site porno d’un nouveau genre développé par l’artiste Serge Goldwicht. Sur les films qu’on peut y visionner, on ne voit aucun personnage, décors ou accessoires. Juste des taches qui coulent, se contournent, s’interpénètrent et se dissolvent. Rorschach, et ses célèbres tests, ont confirmé la force projective des taches. Et le porno alors ? Toute la charge érotique de première ligne est portée par la bande-son qui mixe les voix des comédiennes et comédiens avec des éléments sonores d’ambiance qui installent un décor. Avec le mouvement des taches, une narration s’installe. Il ne reste plus qu’à laisser jouer l’imagination. On a tous observé de l’eau qui coule et se mélange avec de l’huile ou des gouttes qui tombent sur un pare-brise pour dessiner des chemins qui semblent complètement aléatoires. C’est très primitif et hypnotisant. Et très vite, on rattache ce qu’on voit à des choses organiques.
Les inflexions de la voix
Le site sexblotch fonctionne par abonnement. Un forfait de cinq euros par mois permet de visionner la vingtaine de films disponibles et ceux qui s’y ajoutent régulièrement. Les titres, Katmandou 69, Orgasme Sacré, Masturbation dans l’espace, hommes au travail, un orgasme à Kyoto, suffisamment explicites, témoignent de la diversité des rêveries pornographiques que stimulent les films. Il suffit de quelques mots murmurés entre deux soupirs : Non ! Oui, Encore, Plus fort prononcés en français, en anglais, en arabe, en japonais ou en néerlandais, et des bruits de de nature, d’espace interstellaire ou de chantier pour installer le décor et suggérer une histoire.
Les comédiens adorent, ils prennent leur pied. Je les laisse seuls dans l’intimité d’une cabine studio. Ils visionnent le film et adaptent les inflexions de leur voix aux mouvements des taches. Ce qui est amusant c’est de voir des personnes discrètes et réservées qui se lâchent quand elles sont seules devant le micro.
Se lier à l’inconscient
Toute cette aventure est née un peu par hasard. Dans son travail pictural, Serge Goldwicht a toujours été fasciné par les taches et leur capacité à se lier à l’inconscient. Expérimentant avec des pigments, des fluides et des matières diverses, il laisse le hasard signer des compositions en soulevant parfois le bord de sa feuille pour influencer les chemins de ses matières. Avec les taches en mouvement, il y a quelque chose d’autre qui apparaît. L’humide c’est la vie alors que le sec, c’est la mort. Pour garder des traces de ces mouvements improvisés, il prend une caméra et filme d’une main alors qu’il fait bouger la table de l’autre. La conception d’une bande son est venue tout naturellement et c’est avec la rencontre avec Pierre Lebecque, sound designer et compositeur, que le concept de blotch prend forme. Les premières séquences n’avaient rien de sexuel. Il était question de volcan, de nature de paysage urbain ou de la quiétude d’un monastère. Mais une fois que l’inconscient remonte à la surface, rien ne l’arrête. Les blotchs, c’est une aventure picturale qui fusionne narration sonore et visuelle où les matières sont les personnages. C’est très physique, j’essaie de maintenir la narration picturale le plus longtemps possible dans un seul plan séquence. Mais il arrive un temps où les choses se figent où se dispersent. C’est important d’apporter de la diversité. Le renouvellement vient du contexte mais aussi et surtout des matières.
Producteurs de porno
Le sexblotch s’inscrit dans un mouvement plus large, la post-pornographie. Encore très minoritaires, ces pratiques diverses partent à l’assaut de l’image pornographique mainstream qui fige et standardise les fantasmes et l’imaginaire sur la planète sexe. Quand on sait que près d’un consommateur de film porno sur deux a tenté ou tentera de reproduire des positions ou des scènes vues à l’écran, on mesure leur capacité à passer les fantasmes au tamis et à la muselière. Pourtant l’époque a déjà changé. Le public est demandeur d’autre chose. Par l’échange de sextos ou de photos dénudées, les gens deviennent peu à peu producteurs de porno et on peut y ajouter aussi la part toujours plus grande des films amateur chez les pourvoyeurs de contenus roses. La post-pornographie ne remplacera sans doute pas le porno mainstream. D’abord parce que, curieusement ou malheureusement, en laissant glisser le pantalon ou la petite culotte sur les chevilles, certains ou certaines ferment aussi le robinet de l’imagination. Pour se vautrer dans la passivité des scénarios éculés. La post-pornographie, comme sexblotch occupent une toute petite niche, où on se sent bien parce qu’il fait chaud, et où on ne se prend pas au sérieux.
Décapsuleur de l’intime
Reste qu’un sexe sans images de sexe détonne et ose quand on connait la puissance des stimuli visuels. Des sondages empiriques à l’issue des premières projections publiques ou des retours d’expérience des sexblotchs semblent indiquer que le public féminin se montre plus enthousiaste et accueillant. En effet, 80 % des spectatrices ont vu les films comme une expérience intime et profonde. Les hommes, par contre, semblent y voir davantage une expérience picturale, car seuls 10 à 15% d’entre eux vivent érotiquement ces vidéos.
Le site n’est qu’une première étape. Son initiateur rêve d’autres développements pour ce décapsuleur de l’intime. Des contacts intéressants avec des sexologues laissent entrevoir la possibilité d’intégrer les sexblotchs à une thérapie sexuelle. Entretemps, Serge Goldwicht compte enrichir son site de nouvelles histoires à imaginer et rêve même d’un sexblotch « opéra » avec chanteurs et orchestre. Les possibilités sont infinies, comme l’esprit. sourit-il.