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Epiphania
Epiphania (c) Ludovic Debeurme /Casterman
Epiphania
Epiphania (c) Ludovic Debeurme /Casterman
Epiphania
Epiphania (c) Ludovic Debeurme /Casterman

BD EPIPHANIA
LES ENFANTS DE LA TERRE

Gilles Bechet -

Dans Epiphania, Ludovic Debeurme poursuit sa fable écologique qui met les humains face à des créatures sorties de terre pour arrêter la catastrophe annoncée. Noire et mélancolique, la série tend un miroir déformant à nos angoisses.

Les enfants de la terre

Un beau jour, ils sont apparus, un petit bout de crâne émergeant du sol. C’était après la grande vague et la chute des météorites. On a vite compris qu’il ne fallait les extraire trop tôt de leur gangue de terre, sinon ils se consumaient de l’intérieur. Quand les créatures sont arrivées à terme, les hommes ont pris la mesure de la mutation. Ces êtres nouveaux avaient des pieds de kangourou, des cornes de biche, des oreilles et des groins de cochon ou des ailes de chauve souris. Dans le premier tome de sa série fantastique Epiphania, Ludovic Debeurme raconte la difficile coexistence des hommes avec ces êtres étranges qu’ils ont préféré rejeter, enfermer dans des camps et s’en faire des ennemis. Il raconte aussi l’amour inconditionnel d’un père veuf pour Koji, son enfant-faune venu de nulle part.

Nature malmenée

Dans le deuxième tome, Koji a grandi et a compris qu’il doit rejoindre ces autres auxquels il appartient, les mixed-bodies ou les Epiphanians comme ils préfèrent s’appeler. Mais il ne veut pas abandonner son père. Dans un récit où les sentiments se bousculent à l’aventure, l’intime, le psychologique aux préoccupations sociétales, Koji et les siens cherchent à comprendre d’où ils viennent et ce qu’il sont. Nés de la terre les Epiphanians sont le produit de notre anthropocène, l’expression d’une nature malmenée qui veut retrouver son autonomie. Dans cette fable écologique, Debeurme observe l’évolution de notre terre et ce qu’il voit ne lui plait pas du tout. Il scrute et gratte toute la noirceur humaine, celle qui suscite la guerre des Epiphanians.

Un autre monde

Koji qui est toujours resté parmi les humains, apprend à vivre parmi ses pairs. Il est embarqué dans une guerre qu’il ne veut pas. Il observe ces pulsions de violence qui s’agrippent en lui comme une plante maligne. Heureusement, il a l’amour de la gracieuse Hard Bee, son alter ego féminin. Les Epiphanians recherchent un autre monde par la violence. Mené par l’intraitable Vespero, ils vont puiser leur pouvoir dans ces étranges météorites qui les rend fous et ils vont de plus en plus loin. Des attaques sanglantes d’abattoirs aux attentats à la viande contaminée, rien ne les arrête. La monstruosité est-elle la seule option de survie sur cette planète déréglée ?

Moments en suspension

Le trait simple et légèrement déformé de Ludovic Debeurme comme placé sous une loupe grossissante et les très belles couleurs pop et mélancoliques de Fanny Michaëlis contribuent à entretenir l’étrangeté de cette histoire captivante et terrifiante structurée en courts chapitres comme de singulières pierres de lune. Avec ces Épiphanians, Debeurme dessine une figure de l’autre, cet être qui nous fait peur par sa différence, ce sauvage qui a gardé cette animalité originelle qui la relie à la nature et enfin l’autre qui est en soi, celui qui murmure des choses insensées de l’intérieur. Nier ces trois réalités, ces trois natures et c’est l’effondrement, prévient l’auteur. Alors que la catastrophe et l’affrontement se précisent, tout n’est pas que noirceur, il y a des moments en suspension dans Epiphania, des moments d’amour charnel et filial. Et il y a ce troisième et dernier tome qu’on attend déjà avec impatience.

 

 

Epiphania T1 & T2, Ludovic Debeurme, Casterman, 104 et 144 pages couleur, 22 euros