Chez Artitude, Michel Moers montre une série de photos où il déshabille Ken et Barbie pour les plonger dans un univers désincarné qui fait pourtant curieusement écho au nôtre. On n’a jamais fini de jouer à la poupée…
Anonymat
Où est-ce que tu cours ainsi Ken, à en perdre la tête ? Ta plastique toujours impeccable offerte au regard de tous. Rejoindre Barbie qui n’en mène pas large ? Sa tête flotte quelque part les cheveux épars et son corps de rêve est à la parade ou à l’orgie pour aiguiser les lentilles des paparazzis. On ne sait pas trop. Les photos de Michel Moers déshabillent les poupées-jouets iconiques pour en faire des corps interchangeables qui pourraient être nous ou eux, derrière lesquels on disparait pour quinze minutes d’anonymat.
Archétypes
Pour beaucoup, Michel Moers est et restera le chanteur du mythique groupe Telex. Derrière un clavier, un micro ou derrière l’objectif de son appareil photo, il ne s’est jamais départi de son humour détaché, poli et mordant à la fois.
Sujets récurrents de son travail photographique, les jouets ne doivent pas être pris comme une nostalgie de l’enfance, mais plutôt comme des passeurs ambigus entre le monde du jeu, du rêve, et celui des adultes avec tous leurs excès. Des jouets, il faut dire que c’est pratique : on peut les manipuler, les démembrer, leur faire des tas de choses peu avouables et s’en tirer sans un blâme. Depuis que j’ai commencé à photographier les jouets, j’ai cherché à dévoiler les archétypes masculins et féminins. Le traitement de l’image est tranché. Les poupées ont perdu la tête, réduite à un petit moignon ridicule. Le plastique qui leur sert de chair a perdu son rose aguicheur au profit de couleurs métalliques et sombres où les reflets blancs sur le galbe d’un muscle viennent souligner le corps idéalisé.
Ce qu’on voit n’est qu’un souvenir lointain de la prise de vue. Michel Moers est de ceux qui aiment travestir le réel en se construisant une autre réalité sur un écran d’ordinateur. En quête d’une lumière parfaite et irréelle pour habiller ces créatures synthétiques, il joue sur les contrastes et les couleurs, ou superpose plusieurs clichés.
Décalage
Michel Moers n’est-il qu’un formaliste ? On peut voir derrière ces corps de plastique savamment agencés la course à la performance, l’isolement dans la multitude et même les charniers anonymes où l’on se débarrasse des cadavres comme on glisse des poussières sous le tapis. Des corps pris sous le feu d’un sniper comme en témoignent les impacts de balles où seraient-ce des éclats de tungstène qui flottent dans l’air. La pauvre Barbie a perdu la tête qui flotte comme une méduse emportée par le courant dans la mer des songes. Architecte de formation, il a toujours aimé travailler dans ses photos les volumes et les formes, les compositions et un certain décalage par rapport à la réalité. Mais il se sent parfois gêné aux entournures par le côté lisse de ses images. Pour ma prochaine série, j’aimerais faire quelque chose de plus brut. Il n’y a pas longtemps, j’ai retrouvé des photos des Barbie que ma fille avait jetées quand elle avait cinq ou six ans. C’était assez trash. conclut-il avec un sourire gourmand.
Michel Moers, désORDRE / disORDER,
jusqu’au 10.11.2018
Artitude
Rue de la Longue Haie, 23
1000 Bruxelles