2,2 km de natation dans lac du Verney au milieu d’un imposant cirque montagneux, suivi de 120 km de vélo avec l’ascension des 21 virages de l’Alpe d’Huez, puis de 20 km de course à pied à 1.800 m d’altitude : c’est le menu du triathlon L de l’Alpe d’Huez. On la testé l’été dernier. Sous la canicule. Récit d’une longue journée…
Véloélectrique
D’abord, on se jette à l’eau!
Vous aimez dormir en vacances ? Alors le triathlon de l’Alpe d’Huez est fait pour vous. Avec un départ à 9.45, on a tout loisir de passer une nuit normale. De manger à l’aise et puis de vérifier son matériel (on prend sa respiration): la combi, les lunettes de natation, les chaussures, la vaseline pour ne pas être brûlé au cou, la trifonction, les chaussures de vélo, le casque, les lunettes, les chaussettes, les chaussures de course, la casquette, l’attache-dossard, le dossard, la crème solaire, les barres de céréales, les gels et bien entendu le bracelet avec la puce qui validera nos passages entre chaque épreuve.
C’est l’heure de partir. Avec tout le matériel sur le dos dans un grand sac. Une vingtaine de kilomètres nous séparent du Lac du Verney, où se déroule le premier volet de notre triptyque sportif.
La chaleur est déjà présente dans le parc à vélos du lac du Verney, dont l’eau encore calme brille comme un miroir. Il va falloir profiter de sa fraîcheur. On annonce plus de 40 degrés à l’ombre dans la vallée de l’Oisans aujourd’hui. Hélas ! de l’ombre, il n’y en aura pas beaucoup…
C’est parti ! Plus de 700 nageurs tentent de gagner la bouée où il faut faire demi-tour un kilomètre plus loin, sans se faire bousculer. On tente de garder son calme et de progresser, coincé à gauche et à droite par des corps qui oscillent et en se protégeant des battements de jambes du camarade qui nous précède et des mains du suivant qui s’abattent à l’aveugle sur nos pieds.
Au bout de quelques centaines de mètres, heureusement, chacun a trouvé sa place et on peut jouir de son espace vital. On pose sa nage, essaie d’être souple, en songeant au plat de résistance qui nous attend : 120 km de vélo, trois cols et la canicule qu’aucun nuage ne viendra estomper.
On titube un peu en sortant mais heureusement quelques mains salvatrices se tendent pour aider à sortir les nageurs de l’eau. On reprend ses esprits pour retrouver son vélo, quitter tant bien que mal sa combinaison et ne rien oublier avant d’enfourcher sa bécane.
Qui a eu cette idée folle, un jour d’inventer les cols?
On sent la nervosité. Certains démarrent comme s’ils partaient juste faire le tour du lac. On est à plus de 40 km/h dans le faux plat descendant. Facile finalement le triathlon de l’Alpe ! Pas pour longtemps. On vient de passer de la position couchée et aérodynamique à celle dite « en danseuse », debout sur les pédales. Un gain de puissance, mais une plus grande débauche d’efforts. A cette vitesse, on peut échanger quelques mots avec voisin. Celui-ci, grand et mince, est coutumier de ces routes et notamment du col de l’Alpe du Grand Serre que nous abordons maintenant. Ici ça va encore. Ca monte pas mal, mais heureusement, on est encore à l’ombre. Après, on va déguster.
Il a raison le « local », passé la première difficulté, la superbe route dans le Valbonnais et ses petits villages typiques nous assèchent. Les ravitaillements sont légion mais l’eau fraiche ne le reste pas dans nos gourdes. Une fontaine publique se présente à Entraigues. On s’y arrête. Comme à l’ancienne. On remplit la gourde, on plonge le casque, les bras, puis la tête, sous le regard interdit de quelques habitants amusés du spectacle. Profitez-en, après, ça monte! Il a raison, le vieux. Nous sommes dans la troisième difficulté de la journée. La plus chaude. Les clins d’œil inquiets échangés avec les autres participants créent une complicité nouvelle dans le peloton des soiffards. On se hisse plus qu’on grimpe. En haut, le ravito nous rappelle plus les randos entre potes qu’une course. On n’emporte plus les bidons à la volée. On prend le temps de poser le vélo, de manger et boire. Encore et encore. Après, ce sera la descente et puis la montée de l’Alpe d’Huez et ses 21 virages.
Après une (trop) courte descente et la traversée de Bourg d’Oisans, nous y sommes. Au pied du mur. Les trois premiers lacets sont les plus ardus, se souvient-on. Surtout quand il y a plus de 40 degrés. Avec la réverbération, on croirait rouler sur une plancha électrique. Les carottes sont bientôt cuites. Le compteur n’indique plus qu’un chiffre. Neuf, puis huit, puis sept kilomètres par heure. Les premiers virages sont pris à l’extérieur. Plus long, mais moins raide. Certains marchent à côté de leur vélo ; d’autres semblent faire la sieste allongés sous de rares zones d’ombre. Chaque coup de pédale compte. On est agrippé au vélo, collé à la route, à une éternité du sommet. Il n’est plus question de cadence, juste d’alternance gauche droite. Le ravitaillement sert de prétexte pour mettre pied à terre et reprendre son souffle. On y servirait de la tourte de la Matheysine qu’on aurait fait une pause quand même. Ca repart. On sent l’air moins chaud, le soleil moins brûlant et, surtout, on devine là-haut le village, les virages, le mirage.
Cinq, quatre, trois, deux, un virage : l’arrivée approche. Enfin, l’arrivée. Il reste 21 kilomètres à parcourir. On descend de vélo à l’entrée du parc. C’est obligatoire, mais on s’exécute avec plaisir. Les quelques centaines de mètres qui nous séparent de nos chaussures de courses à pied dans ce vestiaire à ciel ouvert sont parcourues en marchant. Récupérer. Avant la dernière partie de l’épreuve. Les nuages s’amoncèlent. Une bonne nouvelle.
On a marché sur l’Alpe
Les premiers pas sur la terre ferme sont hésitants et lourds. On a abandonné toute idée de chrono. Considérons qu’il n’y a aucune honte à marcher un peu. Le premier ravitaillement, justement, se présente. Mais cet endroit coïncide avec l’arrivée, les amis, les proches se pressent. L’envie de courir revient, porté par ces sourires et ces encouragements de gens qu’on ne connait pas et qui semblent pourtant emplis de bienveillance, à moins que ce ne soit de la compassion. On crie les prénoms qui figurent sur nos dossards chiffonnés. Ne pas céder à l’euphorie et garder un rythme qui nous permet de terminer. La première côte surgit après une poignée de kilomètres. L’envie de marcher un peu prend le dessus. Surtout qu’il n’y a personne à cet endroit, en bordure de la station et de la montagne dont, hier encore, on admirait la beauté, mais qui, aujourd’hui, ajoute à notre écrasement.
Infospratiques
Un enfant nous dépasse pour encourager son père qui peine quelques mètres devant nous. Difficile de distinguer l’admiration de la tristesse à le voir ainsi souffrir. Il est fier de vous !, lui glisse-t-on, ému. Il sourit. On fait quelques centaines de mètres ensemble, mais ses muscles le font trop souffrir. Insensiblement, par contraste, l’envie d’accélérer nous prend. Erreur de débutant. Le mollet gauche se contracte méchamment, puis le droit. Il reste moins de 3 kilomètres. Chaque pas fait craindre une décharge. C’est douloureux et drôle à la fois. Pas question de s’arrêter. Ni même de marcher. Comme si la foule était là pour nous. On a en tête les images de ces athlètes vaincus par la fatigue, pantins hagards semblant mus par l’instinct de finir. On se persuade de renvoyer un tout autre reflet. On pense à la ligne d’arrivée, à la montée dans l’Alpe, à ces moments où on a cru devoir abandonner. Dernière ligne droite. Des centaines de concurrents nous ont précédé, mais terminer aujourd’hui, c’est franchir l’arrivée en vainqueur. Le photographe ! Penser à sourire un peu. Les forces nous abandonnent… Des sourires cette fois connus. Le bonheur de les revoir. Le bonheur de s’asseoir. Le bonheur d’être heureux.