Chaque vendredi, Anouk Van Gestel repère le meilleur des sorties littéraires, relie les genres, réveille les classiques oubliés, partage ses trouvailles insolites et ses rencontres d’auteurs, d’ici ou d’ailleurs.
Vous avez aimé
Des tirailleurs sénégalais se racontent, Abdoul Sow
Vous serez épouvanté.es avec Frère d’âme
Alfa tient la main de son frère d’arme, son plus que frère, alors qu’il agonise, les tripes à l’air. Mademba le supplie de l’achever, de mettre un terme à sa souffrance. Mais Alfa, au nom des lois humaines et du devoir, refuse de le sacrifier. Après sa mort, il s’en veut de ne pas avoir abréger la souffrance de son plus-que-frère. La force du désespoir lui donne tous les courages et il n’a de cesse de venger son ami en partant tuer l’ennemi. Les Allemands aux yeux bleus.
L’extrait
Par la vérité de Dieu, jai été inhumain. Je n’ai pas écouté mon ami, j’ai écouté mon ennemi. Alors, quand j’attrape l’ennemi d’en face, quand je lis dans ses yeux bleus les hurlements que sa bouche ne peut pas lancer au ciel de la guerre, quand son ventre ouvert n’est plus qu’une bouillie de chair crue, je rattrape le temps perdu, j’achève l’ennemi. Dès sa seconde supplication des yeux, je lui tranche la gorge comme aux moutons de sacrifice. Ce que je n’ai pas fait pour Mademba Diop, je le fais pour mon ennemi aux yeux bleus. Par humanité retrouvée.
Entre les lignes
David Diop, maître de conférence à l’Université de Pau, s’est mis dans la peau d’un tirailleur sénégalais pour raconter l’horreur de la Grande Guerre et le martyre des 134 000 Sénégalais vivant dans les tranchées avant d’aller se faire massacrer. Un roman de 143 pages qui se lit la boule au ventre. Récompensé par le Prix Goncourt des lycéens 2018, ce livre magnifique aide à comprendre comment on peut basculer dans la folie.
Frère d’âme, David Diop, Ed. Points, 6 €.