Chaque vendredi, Anouk Van Gestel repère le meilleur des sorties littéraires, relie les genres, réveille les classiques oubliés, partage ses trouvailles insolites et ses rencontres d’auteurs, d’ici ou d’ailleurs.
Pour ceux qui ne connaissent pas encore Nadine Monfils, cette rapide bio : elle est belge et vit entre Montmartre et la Normandie. Elle est écrivaine et a publié plus de quatre-vingt romans et polars à succès. Nadine Monfils a également réalisé Madame Édouard, un film avec dans les rôles principaux Michel Blanc, Dominique Lavanant et Josiane Balasko. Le souffleur de nuages, son dernier roman, met en scène un jeune chauffeur de taxi homosexuel et une vieille dame espiègle qui veut retrouver le grand amour de sa vie. Un road trip où l’on croise une galerie de personnages attachants, où Nadine Monfils nous donne des raisons de garder espoir. Rencontre avec un elfe.
Après le merveilleux Rêve d’un fou, vous revenez avec un roman feel-good Le souffleur de nuages. Vous délaissez l’univers déjanté qui vous caractérise pour vous lancer dans le monde des bisounours. Vous n’avez pas peur de décontenancer vos lecteurs ?
J’espère bien les décontenancer. Un auteur qui roule sur une autoroute, il y en a beaucoup. Une fois qu’ils ont le succès, ils restent là-dedans. Moi j’aime bien être surprise dans la vie. Je n’aimerais pas être dans un ronron ni chausser mes pantoufles. Si c’est le cas, j’arrête tout de suite. Mais mon monde des Bisounours à moi n’est pas vraiment si tendre que cela parce que mes personnages ont un vécu qui n’est pas facile. Franck le chauffeur de taxi est un jeune homosexuel, – et dieu sait si aujourd’hui on n’en est toujours pas arrivé à accepter ce qui devrait être naturel, logique et simple, – qui vient de perdre son chien, et la vieille dame a un certain âge avec des problèmes de santé et un vécu qui ne fut pas pavé de roses. Elle s’est mariée avec un homme qui n’était pas le grand amour de sa vie. D’où, il n’est jamais trop tard pour bien faire : son mari étant mort, elle décide de retrouver l’homme qu’elle a toujours aimé
Vos personnages, – Franck un chauffeur de taxi triste et mélancolique, et Hélène une vieille dame fantasque et idéaliste, – ont quelque chose de Harold et Maude, de Franck et Paulette dans Ensemble c’est tout, … Vous souhaitez éveiller l’intérêt de mieux écouter nos aînés ?
Vous le savez peut-être, mais je ne donne jamais d’âge à mes personnages, dans aucun de mes livres. C’est peut-être une vieille dame, mais c’est une femme-enfant. J’avais pensé aussi à Gabrielle Vincent, la créatrice d’Ernest et Célestine. C’était une femme complètement fantasque qui courait à quatre pattes derrière mes enfants, très jouette, elle est restée gamine. Gabrielle, qui s’appelait en fait Monique, m’a confié que l’Ours était un des grands amours de sa vie et Célestine, la petite souris, c’était elle et qu’elle était restée cette petite souris.
Il me semble y avoir plus de votre personnalité dans le personnage de Franck. Hélène incarne-t-elle la vieille dame que vous aimeriez devenir ?
Vous avez raison, dans cette histoire, je suis plus le chauffeur de taxi que la vieille dame. Je pourrais devenir cette vieille dame fantasque, mais je pense que je vais être pire que ça (rires). Il ne faut pas oublier, j’ai un côté mémé-cornemuse quand même, comme dans mes histoires qui ont pour personnage une vieille bique iconoclaste qui aime les Ecossais parce qu’ils ne portent pas de culotte. Cette bique est amoureuse de Jean-Claude Van Damme et d’Annie Cordy dont elle chante tout le répertoire.
Vous faites aussi des références à la Belgique : Annie Cordy, Yolande Moreau, Stromae, les Belges positifs et rigolards,… Vous habitez en Normandie depuis des années, la Belgique vous manque ?
J’habite entre Monmartre et la Normandie depuis deux ans, j’aime beaucoup les plages de Normandie qui sont très belles, mais les Belges me manquent cruellement. Les Normands ne sont pas très marrants, ils sont durs et il faut du temps avant qu’ils ne vous ouvrent la porte. Mais une fois que ça y est, c’est bon. J’ai la chance d’habiter dans un petit village médiéval et magnifique, il a tout du village d’Astérix en fait, avec le seul maire communiste de France !.
C’est aussi l’ histoire d’un amour absolu. Celui qui vous transforme et que vous n’oublierez jamais. Dans le roman, vous écrivez : Tout le monde aime les histoires d’amour. Alors pourquoi tant de haine ?
Ha Ha, parce qu’il y a des gens qui sont aveugles ou qui ont peur d’aimer. Dans ce roman, comme à chaque fois que j’écris, l’histoire doit me donner envie d’aller dans mon jardin d’herbes folles et celui-ci est lié à une magnifique rencontre faite au festival du film de Bruxelles. Je le dédie d’ailleurs à cet homme que j’aime profondément, il s’appelle Yousry Nasrallah, un réalisateur égyptien qui était président du jury.
Nous avons tous peur de vieillir, qu’est-ce qui pourrait atténuer cette peur ? Y a-t-il dans la vieillesse quelque chose qui pourrait nous réjouir ?
Oui, il faut garder sa capacité d’émerveillement et garder vivant l’enfant qui est en nous. Vieillir, on en a peur si on a peur de la mort. Mais pourquoi avoir peur de la mort ? Mon fils est resté dans le coma pendant un long moment alors qu’il avait 20 ans. Il en est revenu et il m’a raconté des choses tellement troublantes, étranges… Il y a des signes, je ne suis pas croyante, mais je sens qu’il y a autre chose. Et donc la mort ne me fait pas peur, en revanche j’ai peur de perdre mes enfants et mon mari que j’adore. Oui, j’ai peur de ça. Je n’ai pas peur de vieillir parce que je reste une gamine dans ma tête et c’est ça le secret : goûter aux petits plaisirs de la vie, comme par exemple avoir toujours envie de manger un cuberdon …
Vous êtes amie avec Dominique Lavanant,…
Oui, nous sommes très liées toutes les deux. Il faut savoir que Dominique n’est plus sortie de chez elle depuis sept ans. Quand je suis à Paris, nous nous voyons chez elle. Un jour, elle m’a téléphoné et m’a dit Ma choutte, je voudrais aller à l’enterrement de Jean-Pierre (Mocky), mais je ne veux pas y aller sans toi. Je suis remontée de Normandie et je suis allée la chercher devant chez elle. Dominique est descendue de son appartement affublée d’une petite veste rose trop serrée qui venait de chez Emmaüs. Jean-Pierre Mocky la lui avait prêtée, en lui disant : Dominique je vous la prête, mais faites attention de ne pas l’abîmer parce qu’après je la revends . Mocky était un grand avare.
Dans vos remerciements, vous citez Geordy, votre souffleur de nuages, et Babaji qui vous a aidé à surmonter vos doutes. Quels étaient ces doutes ?
Il y toujours le doute de ne pas avoir atteint mon but, celui de faire quelque chose de bien, d’écrire le mieux possible et d’arriver à transmettre ce que j’ai dans le cœur. Pendant qu’on écrit, on est sur une autre planète, mais quand le bébé est là, on commence à douter. Je pense que tous les artistes ont des doutes, c’est légitime. Geordy est mon fils et Babaji est un ami rencontré en Normandie. Un homme atypique qui tient une boutique pleines objets ethniques, indiens et tibétains. C’est une très belle personne. Je lui ai fait lire le manuscrit et il m’a donné les ailes, les miennes étant rognées à ce moment-là, pour le défendre et le faire publier.
Connaissez-vous les Pelleteurs de nuages, une maison d’art canadienne dont la mission est de faire du bien avec du beau ? Moi, je trouve que vous faites du beau avec du bien.
C’est joli ça, merci. Je ne les connais pas, mais je suis impatiente de les découvrir.
Le souffleur de nuages, Nadine Monfils
Fleuve Editions, 15,90 €
Disponible sur BAZAR e-SHOP