À la villa Empain
Que la lumière soit

Gilles Bechet -

 

Pour son exposition The Light House, la Villa Empain a invité 19 artistes à transformer ses espaces par la lumière. Une succession d'expériences collectives et personnelles qui nous éloignent de l'obscurité. Visite subjective avec Antoine et Cassiopée.
Chemin de lumière, (c) Fondation Boghossian
Suis la lumière bleue,avait écrit Cassiopée. Son amie aimait lui fixer des rendez-vous surprise en lui envoyant des petits billets sibyllins qui faisaient scintiller son imagination. En suivant les réverbères voilés de bleu plantés sur l’avenue, Antoine s’amusait à penser qu’elle avait voulu écrire « Je suis la lumière bleue » et il l’imaginait telle une étoile céruléenne accrochée à la voute infinie pour des scintillantes errances. Arrivé devant les portes de la somptueuse villa art deco, Antoine savait qu’il lui fallait encore décoder les messages de son amie avant de partager sa lumière.
The Light House, James Turrell, vue d'exposition, photo Gilles Bechet (c) Fondation Boghossian
Embrasse l’infini du ciel. Sur le mur, un rond de lumière comme un œil qui se laisse regarder sans jamais cligner des paupières. Toutes les couleurs et les profondeurs du ciel s’y reflètent dans une infinie lenteur. Antoine pensa à la promesse qu’il avait faite à Cassiopée de l’emmener un jour sur l’archipel du Svalbard dans l’Océan Arctique. Dans la lumineuse nuit polaire, ils contempleraient le magnifique spectacle des aurores boréales, enveloppés de ces couvertures lumineuses tombées du ciel.
James Turrell, Aquarius, Medium Circle Glass, 2019.
Róza El-Hassan, Lichtmahl, 1996 photo Andrea Anoni
Goûte la lumière, elle reste longtemps après que tu aies fermé les yeux.  Les fruits brillaient doucement dans l’obscurité de la petite chambre. Il se souvint d’un voyage qu’il avait fait avec elle en Ombrie. Ils avaient décidé que pendant une semaine, ils ne mangeraient qu’une sorte de fruit par jour et rien que ça. Pour que leur goût se cristallise en eux avec plus d’intensité. Pour que pèse le peu. Lundi des raisins, mardi des oranges, mercredi des pèches, jeudi des amandes et ainsi de suite une salade de semaine. Mais peut-être avait-il rêvé ?
Róza El-Hassan, Lichtmahl, 1996
The Light House, Adrien Lucca, vue d'exposition, photo Gilles Bechet (c) Fondation Boghossian
Attrape-la, elle est déjà ailleurs !  avait-elle poursuivi de son écriture impatiente. Elle n’était toujours pas là. Juste deux gros ballons, comme des lapins repus, qui se laissaient approcher facilement. La couleur, par contre, était insaisissable. Là où il attendait du jaune, il y avait du rouge. Là où il croyait toucher le rouge, il caressait le jaune. C’est à croire que les couleurs rebondissaient pour échapper aux regards. Mais ça, Antoine le savait depuis longtemps. C’est quand on ne regarde pas que les choses se passent. Et peut-être que les couleurs, c’est comme le caractère, ça peut changer en fonction du moment et de l’endroit.
Adrien Lucca, Yellow zone/ yellow-free zone, version 2, 2020
Mona Hatoum, Misbah, 2006-07, (c) Mona Hatoum, Courtesy Fondazione Querini Stampalia Onlus, Venice, Photo: Agostino Osio
Laisse filer les étoiles. Cassiopée était son étoile filante. Elle le menait à présent dans une pièce où une lanterne tournait lentement, projetant ses ombres furtives sur le parquet et sur les murs. Des étoiles qui explosent en silence et des soldats qui courent à la guerre. La colombe attendait son heure, assoupie par une innocente berceuse. Il avait la tête qui tourne. Il se souvint qu’un jour ils avaient décidé d’échanger leurs ombres pour voir ce que ça faisait. « Ce sera une autre façon de faire l’amour » disait-elle ou de faire la guerre, pensa-t-il.
Mona Hatoum, Misbah, 2006-2007
Erwin Redl, Fade Villa Empain, 2020, photo Andrea Anoni
Couvre-toi de rouge et prends garde à ne pas t’endormir, écrivait-elle. Antoine distinguait quelques silhouettes, mais toujours pas celle de Cassiopée. La lumière rouge était comme une enveloppante couverture. Il se sentait glisser. Il ne savait plus si la lumière l’enveloppait comme une seconde peau ou si c’était lui qui s’était plié à l’intérieur de la couleur devenue vivante. Il se dit alors qu’il n’avait jamais demandé à Cassiopée quelle était sa couleur préférée. Même si il avait sa petite idée.
Erwin Redl, Fade Villa Empain, 2020
Infospratiques
Kaz Shirane, Prism wall, 2020 photo Andrea Anoni
Est-ce ton regard ou le miroir qui est chiffonné ? lui glissa-t-elle au creux de l’oreille. Après son chemin de lumières, il avait retrouvé Cassiopée. Dans un salon près du jardin. Il ne s’est pas retourné tout de suite. Dans cet origami de miroirs, elle avait mille visages qu’il pouvait recomposer à sa guise. La toucher des yeux avec l’impression d’avoir toujours quelque chose à découvrir. Il a pris son temps pour la regarder. Elle portait un élégant caban indigo qu’il n’avait encore jamais vu. Je suis bleue de toi  avait-elle dit si simplement. Tu me rouge de plaisir avait répondu Antoine.
Kaz Shirane, Prism Wall, 2020