Avec Skip, son premier roman graphique, Molly Mendoza nous offre une éblouissante plongée dans un monde onirique, théâtre d’une attachante quête d’identité.
Dérive onirique
Skip, le kaléidoscopique premier roman graphique de l’américaine Molly Mendoza a certainement de quoi en désarçonner quelques uns. Très vite, la narration abandonne toute logique pour se fondre dans une dérive onirique à rebondissements. Dans les premières pages, on fait connaissance avec Eclo qui vit en autarcie avec Bee en bordure d’un lac en harmonie avec les poissons et les oiseaux. On devine que la civilisation a dû se reconstruire après un grand effondrement qui a laissé la ville et ses dangers aux technophiles, et aux autres le refuge dans la nature.
D’un monde à un autre
Plongeant dans le lac à la recherche d’un collier perdu, Eclo débouche dans un monde parallèle peuplé d’étranges créatures aux allures de champignons et de touffes d’herbe. Eclo s’y lie d’amitié avec Gluan, rejeté par les siens lors de la préparation de l’importantissime moisson lunaire. Les deux compères vont alors glisser d’un monde à un autre, croisant des alligators qui parlent, une corneille esseulée, ils vont chercher leur chemin dans une grande maison où les peintures prennent vie et débarquer dans l’atelier d’un créateur de mondes numériques. Au fil des pages, on découvre des univers où les sensations miroitent en couleurs comme les ombres d’une lampe à huile psychédélique sur un mur. L’auteur n’hésitant pas à quitter le carcan des cases pour composer des planches où l’oeil peut s’attarder à sa guise ou revenir en arrière sur l’un ou l’autre détail.
Feux d’artifices
L’histoire pourrait sembler un prétexte à un virtuose jeu de cache-cache graphique où les formes se dissolvent, se métamorphosent, parfois en pleine page, alternant les camaïeux de jaune beige ou bleu violet avec des feux d’artifices multicolores. Mais si on continue à lire, c’est aussi parce que, dans cet univers de faux-semblants, ces deux personnages à la dérive ont de l’épaisseur et sont profondément attachants. Dans ce récit d’aventure initiatique, où leur courage est mis à l’épreuve, Eclo et Gluan se renforcent mutuellement par les liens de l’amitié qui grandit en eux comme une plante grimpante. Une autre particularité désarçonnante de ce récit à tiroirs, c’est que l’auteur n’a pas voulu attribuer un genre défini à ces personnages. Cet incertain entre-deux est comblé par l’écriture inclusive et le pronom iels, une autre manière, sans doute de se méfier des apparences pour mieux se connecter aux sentiments et aux émotions.
Skip, Molly Mendoza, Dargaud, 161 pages couleurs, 21 euros