Il l'a rêvé, il l'a fait. Amoureux de Bruxelles, le dessinateur Ever Meulen a dessiné sa ville pour la collection Travel Book de Louis Vuitton. Il nous offre une ville fantasmée et réinventée, truffée de petites surprises graphiques et ludiques.
L’esprit de Tintin et de Magritte souffle sur la ville. La table est dressée, le poulet compote se pousse du chicon. On va manger une frite chez Jeff. Sauce andalouse fieu ! L’atomium a l’esprit jouette redistribue ses boules pour une partie de pétanque géante arrosée au Lambic. Quand Ever Meulen dessine la ville, il se permet toutes les fantaisies, les gratte-ciels se serrent les murs avec les petites maisons, trois pièces en enfilade avec derrière le petit jardin où le matou marrant se frotte à la fenêtre. Et dans le ciel des oiseaux blancs chatouillent les corniches et picorent les antennes paraboliques qui retransmettent en boucle le grand Prix Eddy Merckx.
Bruxelles, ce n’est pas la Californie, mais pourtant il suffit d’une villa de 1925 signée Henri Lacoste et l’architecture se pare de murs de soleil. Au fil des rues, on y voyage dans les styles et les époques. Une Chevrolet Corvair, verte comme toutes les voitures du maître, remonte la pente en flânant, elle va croiser le skateboard qui a quitté les pieds de son cavalier déstabilisé par les aboiements d’un lévrier, zélé gardien de l’habitation cossue. On n’est pas en Californie quand même.
Dans le Bruxelles d’Ever Meulen, il y a une avenue Spirou. A portée de jumelle de la Grand-Place et du Palais de Justice sous son manteau d’échafaudages. Un peu en retrait de la chaussée se trouve la villa du célèbre groom avec le garage pour entrer la Turbotraction. Par la fenêtre du bus QRN57, certains passagers n’ont pas manqué de voir un animal au pelage jaune et noir s’envoler dans les airs avec des hélices au bout des pattes. L’animal a fort à faire pour garder le cap, mais son compagnon d’aventure tient fermement les commandes. Le ciel est dégagé jusqu’à l’avenue Houba. Juste une petite drache, mais on passera entre les gouttes.
Ever Meulen aime prendre son temps pour dessiner, il a mis deux ans pour réaliser cet album. Et sur papier, il aime tout ce qui va vite. Au bout de son crayon, les belles américaines aux rutilantes carrosseries et dans le ciel, les avions et leurs trainées de fumée blanche. Quand j’étais enfant, je me disais que faire de la bande dessinée, c’est raconter l’histoire de quelqu’un qui passe dans la rue et à qui il arrive plein de choses. Aujourd’hui, je ne fais pas de bande dessinée et je case toute mon histoire dans un seul dessin. »
InterviewEver Meulen
Je crois que je suis un peu nostalgique de la période des années 30. Ça a été une époque très féconde dans toutes les disciplines artistiques, des arts plastiques à l’architecture, c’était l’avant-garde du XXe siècle. Quand on se promène en rue à Bruxelles, on voit de très belles réalisations de l’entre-deux guerres. C’est une période que j’ai toujours beaucoup aimé et qui m’a aussi toujours inspiré. Et c’est peut être moins difficile à dessiner que l’architecture baroque ou gothique. »
Dans le Bruxelles d’Ever Meulen, les époques et les styles se télescopent. Frans Masereel est invité à la Gare centrale, dernière grande Oeuvre de Victor Horta. Le jeu de miroir des façades du présent reflète les foules compactes surgies du passé. La ville se contracte et se couvre de fumée d’encre. Les quadrimoteurs à hélice et les jets se partagent le ciel, laissant chacun leurs traces. L’homme à la pipe a rendez-vous avec l’homme au chapeau. Que vont-ils se dire ? On ne sait pas, les bulles restent encore à écrire.
“ J’ai toujours voulu être dessinateur. Je n’ai jamais eu l’ambition d’être architecte, mais j’ai toujours bien aimé le dessin des architectes pour leur souci de la précision et de l’exactitude, qu’on retrouve aussi dans ma manière de dessiner. Si on parle de ligne claire, c’est parce que j’ai toujours cherché à montrer des choses assez lisibles et reconnaissables. Quand je fais un dessin, on doit immédiatement comprendre ce que je veux dire. Je suis pas un artiste qui se laisse guider par l’inspiration du moment ou par le geste. J’aime bien construire des choses, un peu comme les architectes.”