Chaque semaine, Anouk Van Gestel repère le meilleur des sorties littéraires, relie les genres, réveille les classiques oubliés, partage ses trouvailles insolites et ses rencontres d’auteurs, d’ici ou d’ailleurs.
Philippe Gustin a publié Sous la ceinture , un polar déjanté auréolé du Prix Fintro. Un des livres qui m’a le plus marqué cette année. Par son audace, son humour, et son imagination. Grand lecteur, il nous conseille 3 livres à emporter dans sa valise, en plus du sien, cela va de soi.
Sophie Hénaff – Poulets grillés
Le polar est un drôle de genre : hypercodifié, avec ses figures déjà vues mille fois – détective alcoolique ou indic sentant le tabac froid. Et paradoxalement, le lecteur attend d’être surpris. Avec ses poulets grillés, le moins que l’on puisse dire est que Sophie Hénaff innove, puisque son poulailler n’est composé que de canards boiteux. Suite à une bavure, la commissaire Capestan se retrouve sur une voie de garage et hérite d’une brigade composée de rebuts, de dossiers classés sans suite et de matériel informatique de chez Tandy. Ses collègues ? Une inspectrice qui a fait fortune en écrivant des séries policières au détriment du secret professionnel, une joueuse compulsive, un informaticien boxeur amateur aux neurones mal défragmentés ou un pilote de course qui réalise un temps scratch sur motocrotte… Bref, un roman qu’on lira avant tout pour son univers et son ton totalement décalés. Et la bonne nouvelle, c’est qu’il y a d’autres volumes qui suivent, au moins aussi bons ! Satisfaction garantie.
Poulets grillés, Sophie Hénaff, Livre de Poche, 7,90 €
André Lalieux – Les Bienheureuses
Du pur made in Belgium, qui a pour décor le Pays Noir, bien que l’argot y sonne aussi Paname que bassin carolo. Ce premier roman d’André Lalieux met en scène Marcel, plus tout jeune, qui vit chez sa maman. Chômeur de longue durée, sa vie se partage entre lever de coude et petites combines. Le pauvre se verra même remis au boulot, contraint et forcé, dans un parc à conteneurs. Où il fera fortune en acceptant les déchets les plus douteux, pour le plus grand bonheur de sa maman qu’il emmène depuis faire ses courses en Range Rover. Rien de trop méchant ? Marcel a tout de même un signe très distinctif : c’est le plus gros tueur en série de l’histoire locale. Mais attention, ce n’est pas un salaud ! Il a la délicatesse de ne tuer ses victimes (des « bienheureuses ») qu’au moment de la « petite mort », histoire de leur laisser une bonne dernière impression. On s’étonne donc de se prendre d’affection pour une pure crapule, tour de force de notre André Lalieux. Une plume fluide, caustique, aux réflexions bien senties. Et si vous le trouviez trop court, n’hésitez pas à lire « Odeur de blanche », deuxième roman de l’auteur, du même excellent tonneau.
Les Bienheureuses, André Lalieux, Du Basson éditions, 12 €
Pierre Lemaître – Au revoir là-haut
Un roman, c’est comme une bonne blague : ce n’est pas tout d’avoir une bonne histoire, encore faut-il savoir la raconter. Et si Pierre Lemaître était bien inspiré pour le fond, on peut dire qu’il tenait une sacrée forme. Il sait écrire, c’est un Goncourt par KO ! L’aventure incroyable de deux poilus, revenus des tranchées avec une gueule cassée et la haine d’une hiérarchie qui les a piégés. L’histoire d’une vengeance qui prend la forme d’une arnaque sordide mais savoureuse, où l’on croit avoir touché le fond avant de tomber plus bas. Une belle noirceur compensée par un humour cynique. Quand le récit et l’écriture sont à un tel niveau, on en redemande : Au revoir là-haut est le premier opus d’une trilogie, bien qu’il se suffise à lui-même. Un sans-faute.
Au revoir là-haut, Pierre Lemaître, Livre de Poche, 8,90 €