L’ART CONTRE LE CHAOS
AU BPS22

Gilles Bechet -

L’art pour changer la société ou éveiller les consciences ? La nouvelle exposition du BPS22 rassemble des pièces issues de la collection privée a/political. Des œuvres fortes qui invitent les citoyens et les spectateurs à se rassembler avant qu’il ne soit trop tard.
Santiago Sierra, No 2009, Photo NO GLOBAL TOUR (IRELAND) 2017
Il ne suffit pas de dire non, mais c’est souvent un préalable indispensable, une question de survie. Comme on allume une allumette dans l’obscurité, l’artiste espagnol Santiago Sierra a réalisé une sculpture haute de plus de deux mètres qu’il a dressée sur une remorque. Avec le NO Global Tour, il l’a fait voyager à travers le monde, devant les bâtiments de pouvoir, les zones industrielles et les lieux de lutte. Pas besoin de traduction, les deux lettres de refus communiquent dans toutes les langues, mais peut-être pas toujours avec la même signification. Elle a pris ses quartiers dans la grande halle du BPS où elle dialogue avec Resilients. Dans cette sculpture, David Brognon, Stéphanie Rollin et les anciens ouvriers de Caterpilar, expriment leur refus de la logique du tout à l’économie par un tourniquet géant.
Andrei Molodkin, Transformer N0.M208 (Eternity Has the Smell of Oil), 2014 Photo Leslie Abramow
Le transformateur d’Andrei Molodkin barre le passage vers l’étage supérieur, comme les postes de contrôle d’un aéroport. On hésite presque à entrer dans la crainte d’une trouble métamorphose qu’on aurait à y subir à notre passage, comme celle qui sépare le noir du blanc, le gazeux du visqueux. La composition binaire des cages repose sur les deux matières opposées qui emplissent les barreaux. Du gaz argon qui fait flotter la lumière et du pétrole brut irakien qui semble aspirer les regards pour les ramener vers les profondeurs de la terre. C’est un fascinant miroir de ce qui nous transforme et de la légèreté avec laquelle, on transforme l’environnement et on contrôle les frontières pour transformer le présent en futur. Sera-t-il noir ou blanc ?
Franko B, Sleeping Beauty, 2016 Franko B, Fuck your Democracy, 2015 Kendel Geers, Virus (Revolution) 10, 2007
Un enfant comme tant d’autres réfugiés, dont le corps sans vie s’est échoué sur les plages de méditerranée. Le t shirt relevé, les bras levés en forme d’inutile protestation. L’artiste, Franko B, s’est inspiré d’une photo très vite retirée des réseaux sociaux. Il l’a fait sculpter en marbre de carrare avec la précision et la finesse de la statuaire baroque. Au mur, le slogan écrit en néon, constat d’impuissance et de révolte, en est un glaçant écho. Kendell Geers veut lui croire que la révolution n’est pas terminée mais il nous embrouille en cassant les mots. Pour mieux les déguiser.
Piotr Pavlensky, Eclairage, 2017, Archives de l’artiste
Piotr Pavlensky est un artiste radical, prêt à payer de sa personne pour dénoncer les politiques répressives et la confiscation des libertés par les autorités russes. Artiste de l’extrême, il s’est cousu les lèvres durant le procès des Pussy Riot en 2012. Il s’est également enroulé nu dans du fil barbelé devant l’Assemblée législative de Saint-Pétersbourg et cloué le scrotum sur les pavés de la Place rouge. Après avoir été condamné pour terrorisme en Russie, il a obtenu l’asile politique en France. Mais son combat n’était pas fini. Il y a partout des raisons de se révolter. Dans une courte et saisissante vidéo, on voit sa tentative d’incendie symbolique des locaux d’une succursale de la Banque de France, situés Place de la Bastille pour protester contre la prise du pouvoir des banques. Rapidement arrêté, il a été libéré sous contrôle judiciaire. Il attend son procès, accusé de « destruction du bien d’autrui par un moyen dangereux pour les personnes ».
Democracia, Working Class, 2016
C’est un policier anti-émeutes lourdement armé. Gardien de l’ordre, il est le bras armé des autorités pour canaliser les foules. Œuvre du collectif espagnol Democracia, la sculpture rappelle la statuaire classique par la finesse et la sensualité du travail ainsi que par la qualité du marbre. Le conflit entre le sujet et sa représentation instille un insidieux malaise. Le doigt sur les lèvres, le policier invite au silence comme s’il était témoin d’un chahut désordonné. C’est aussi un geste d’autorité qui ne devrait souffrir d’aucune contestation. Et l’autre main, elle agrippe fermement le canon de son fusil lance-grenades. Pour parer à toute éventualité.
Andrei Molodkin, Fallout Pattern, 2017- 2018
Andrei Molodkin a été marqué par ses deux ans de service militaire obligatoire dans l’armée russe. Attaché au service de surveillance des frontières et du transport de missiles, il a passé de longues heures à sillonner l’immensité de la fédération en camion militaire. L’ordinaire du soldat comportait des cigarettes et des bics bleu. Comme il ne fume pas, Molodkin échangeait son tabac contre des stylo-billes dont ses camarades n’avaient que faire. Lui, au contraire, en a fait l’instrument exclusif de ses dessins quotidiens de paysages et de jeunes conscrits. Pour l’installation Fallout Pattern, il s’est inspiré des cartes divulguées par Wikileaks et sensées représenter l’impact des missiles nucléaires américains sur la Russie. Entièrement redessinées d’une juxtaposition de traits identiques au bic bleu, les cartes prennent un caractère hypnotique, miroir d’une époque de la saturation et de la dispersion de l’information. Le pouvoir est-il désormais aux mains de ceux qui détiennent l’information ou de ceux qui la manipulent ?
Infospratiques
Teresa Margolles, Plancha 2014, courtesy of Peter Kilchmann Gallery and the artist
Avant de se consacrer à une carrière d’artiste, Teresa Margolles s’est formée à la médecine légale et a travaillé à la morgue de Mexico. L’essentiel de son œuvre est consacrée à ce que la mort et son traitement disent de la société. Plancha est un mémorial aux morts anonymes. Plongée dans l’obscurité, la pièce est traversée d’une bande de plaques chauffantes métalliques sur lesquelles tombent sporadiquement des gouttes d’eau. Cette eau recueillie par l’artiste à la morgue de Mexico City a servi à laver les morts non identifiés. Une cartographie de calcaire et de rouille se dessine peu à peu sur l’enfilade de plaques. Chaque impact d’une goutte produit un discret nuage de vapeur qui s’évapore dans l’air ambiant comme si des traces des morts revenaient imprégner le monde des vivants. Une autre manière de créer des liens pour éviter le chaos. Teresa Margolles fera l’objet d’une grande exposition personnelle au BPS22 dans le courant 2019