Cet été, notre chroniqueur-philo Simon Brunfaut compose son abécédaire subjectif et décalé du « lifestyle ». Tous les jeudis, à partir d’une lettre de l’alphabet choisie au hasard, un mot de la galaxie art de vivre est décrypté.
F comme Fashion
« Fashion » vient de l’anglais, comme le thé avec un nuage de lait et les filles aux joues roses de Gainsborough. Le terme est apparu au milieu du vingtième siècle, dans la bouche de certains hommes résidant à Paris. Longtemps en effet, Bourg-la-Reine passa à coté du « fashion » tout comme le parisien passa à coté de Bourg-la-Reine. Pour le prononcer correctement, il faut frôler délicatement son palais avec la langue et veillez à ne pas toucher les incisives, surtout si celles-ci présentent des signes d’instabilité.
« Fashion » doit se dire avec rapidité, car « fashion » se vit dans l’instant présent. L’usage veut qu’on utilise le terme comme un préfixe. Fort heureusement pour les « fashion-mortels » que nous sommes, la langue française offre de nombreuses possibilités de variation. Ainsi, une personne « fashion » se dit une « fashion-personne », une personne de petite taille « fashion » se dit une « fashion- personne de petite taille ». Rien de fâcheux donc à user de « fashion » à tout bout de champ.
« Fashion » est à la mode, et c’est bien compréhensible : le mot désigne la mode au carré. La mode tend à dessiner des styles et des tendances. Mais surtout, la mode étend des vêtement sur des corps. Lorsqu’on est « fashion », on peut se permettre d’être détendu puisqu’on est « tendance ». On peut également observer avec ironie les gens qui ne sont pas « fashion » – et qui eux sont tendus, car ils cherchent à être « tendance ». A l’inverse, celui qui est à la mode prend des poses naturelles. Il marche avec aisance. Il a la mine fière et le pas aérien.
Sans la mode, les hommes vivraient nus et n’auraient pas de tendance, sinon celle de dormir tard le dimanche matin et de chasser le ragondin le dimanche après-midi. Toutefois, la mode est difficile à suivre. La mode a tendance à aller d’un coté et puis de l’autre. Bref, la mode tangue. C’est un bateau en été. C’est un voilier au printemps. C’est un pédalo en hiver, une planche à voile en automne. Mais la mode, c’est aussi des collections : des collections de petites éternités accrochées aux boutonnières, des collections de moments passés dans les plis des taffetas, des collections d’éclats fugitifs pendus au crochet des jours.
Pourtant, ne nous voilons pas la face, le « fashion » fait des victimes. Peut-on donc mourir du « fashion » se demande, inquiet, le citoyen ? Oui, c’est possible : en se prenant les pieds dans des mules en croco, en heurtant un mannequin de deux mètres dans un match de basket, en se perdant dans une robe en crinoline, en confondant une épingle avec une crevette. Comme me disait un « fashion-ami » : la vie ne tient parfois qu’à un fil.