L’illustratrice Nora Krug explore les zones d’ombre de son histoire familiale et entreprend de se réconcilier avec son identité allemande. Avec bienveillance et humour, mais sans honte et sans œillères.
Documentaire intime et familial
Quand adolescente elle se rendait à l’étranger, Nora Krug ne pouvait masquer son accent allemand qui déclenchait immanquablement des jawohl gutturaux ou pire des Heil Hitler. Est-ce si difficile d’être née dans un pays qui a marqué le vingtième siècle par des guerres dévastatrices ? De la guerre, de ses conséquences pour le pays, ses parents en parlaient le moins possible. C’est depuis les Etats-Unis où elle vit désormais et travaille comme illustratrice, qu’elle a eu envie de revenir sur ce que ça signifie d’être allemande aujourd’hui. Elle le fait dans un livre magnifique, drôle touchant qui mêle dessins, BD, textes et photos, documentaire intime et familial, réflexions et observations amusées sur ces petits détails qui construisent culturellement quelqu’un.
En quête de son Heimat
Heimat est un terme profondément lié à l’âme allemande. Il désigne le lieu où l’on est né et où on a grandi avec ses paysages, ses proches, ses habitudes et ses sensations. C’est aussi un mot utilisé jusqu’à plus soif par les nazis pour flatter la germanité du peuple.
Pour effacer la honte diffuse d’être allemande, Nora Krug revient sur son histoire familiale et cherche à dissiper les zones d’ombre. Elle cherche son Heimat dans des petites villes du sud de l’Allemagne, entourées de champs et de vignobles. Elle va voir des tantes à qui elle n’avait jamais parlé. Elle rencontre des spécialistes de l’histoire locale et épluche le archives, de vieux rapports et dossiers militaires, des annuaires ou des lettres que les soldats envoyaient du front.
Choses allemandes
A New York, elle fréquente des groupes d’immigrés allemands, souvent très âgés, qui entretiennent la nostalgie de leur pays natal autour d’assiettes de salade de pommes de terre et de gâteaux aux noix. Elle explore sans relâche l’âme germanique comme on se perd dans la forêt. Ce lieu mythologique et intime pour bien des familles allemandes. La forêt des frères Grimm et des promenades en solitaire.
Elle revient avec humour sur ces « choses allemandes » , comme elles les appelle. Des sparadraps Hansaplast, aux classeurs à anneaux Leitz et à la colle Uhu, autant de produits parfois familiers pour beaucoup de Belges mais qui depuis Brooklyn deviennent exotiques et prennent la saveur émotionnelle de la madeleine.
Peut-on être nazi à 12 ans ?
Elle apprend que son oncle, Edwin, mort à 18 ans, a perdu la vie avec son bataillon dans un petit village italien. Je ne me donne pas le droit d’être triste à propos d’un Allemand mort à la guerre. écrit-elle. Dans les cahiers d’exercices qu’elle retrouve, elle découvre que sur les bancs de l’école, son oncle Edwin écrivait que les juifs étaient pareils à des champignons vénéneux. Peut-on être nazi à 12 ans ?
Karlsruhe, la ville de son grand-père Willi, a été la première ville que les nazis ont « libérée » des juifs. Nora essaie de savoir si cet homme, présenté par la famille comme apolitique a assisté à l’incendie de la synagogue, qui était en face de son auto-école, s’il a cherché à aider les pyromanes, s’il a approuvé ou s’il était ailleurs.
Elle va finir par accepter qu’elle ne saura jamais.
La Heimat ne peut se trouver que dans la mémoire. Et c’est un sentiment qui ne commence à exister qu’une fois qu’on l’a perdu.
Heimat: Loin de mon pays, Nora Krug, Gallimard Jeunesse, 288 pages couleur, 32,50 eur
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