L’éblouissant âge d’or
de Cyril Pedrosa

Gilles Bechet -

 

L’âge d’or est une des merveilles de l’année écoulée. La bande dessinée de Cyril Pedrosa et Roxanne Moreil publiée chez Dupuis, nous emmène dans un moyen-age chatoyant et mystérieux, porté par un puissant souffle d’aventure et une étincelante inventivité graphique.
L’âge d’or, Cyril Pedrosa-Roxanne Moreil (c) Dupuis
A la mort de son père, le roi Ronan, la jeune princesse Tilda est évincée du pouvoir par sa mère et ses conseillers avides et peu scrupuleux. Dans sa fuiter, la jeune fille traverse de sombres et mystérieuses forets aux arbres noueux et traverse des campagnes où gronde la révolte. Au bout de sa quête épique, un livre, l’Age d’or, un texte qui parle d’un temps révolu où les hommes partageaient tout, en période d’abondance comme en période de disette.
L’âge d’or, Cyril Pedrosa-Roxanne Moreil (c) Dupuis
L’un des multiples plaisirs de cet album c’est qu’il arrive à combiner la dynamique de la bande dessinée d’aventure populaire avec une liberté graphique réjouissante et inventive. Modestement, on essaie de proposer des choses aussi élaborées et aussi belles que possible sans pour jamais oublier d’être accessible. J’imagine que certains lecteurs peuvent être déroutés parce qu’ils n’ont pas l’habitude de voir ce type de représentations visuelles, quand certaines images n’ont pas de perspective par exemple. J’aime bien l’idée de populaire dans le sens de s’adresser à tout le monde. Je suis convaincu qu’on peut faire des choses complexes, denses, mais sans prétention.
L’âge d’or, Cyril Pedrosa-Roxanne Moreil (c) Dupuis
Dans la féerie visuelle de son dessin, Pedrosa part des codes de la bande dessinée populaire et même de certains vieux Disney pour laisser parler ses crayons et ses pinceaux entre une élégance nerveuse et un grotesque flamboyant. Pour le dessin, j’avais besoin d’aller chercher des références, j’ai regardé des choses que je n’avais pas regardées depuis longtemps dans l’histoire de l’art, du côté de l’enluminure, des retables et vitraux. Mais après, il n’y a pas de citation précise, un tout petit peu de Breughel, et encore avec les paysages qui se déploient ou les petites scènes de moisson. L’objectif n’est pas de faire des citations, parce que je ne veux pas lâcher le fil de la narration en perdant le lecteur dans les détails.
L’âge d’or, Cyril Pedrosa-Roxanne Moreil (c) Dupuis
Si tout le dessin est réalisé à l’encre en noir et blanc, Pedrosa passe ensuite par l’ordinateur pour transformer ses coups de pinceau en somptueuses enluminures et tapisseries moyen-âgeuses. Du digital pour mieux s’éloigner du temps présent. Avec cette amusante mise en abime, on s’inscrit dans une histoire. Le dessin et l’art sont des créations humaines qui se transmettent de génération en génération. On nous transmet du beau pour qu’on le transmette aux générations suivantes. Le talent, c’est d’abord une sensibilité à ce qui préexiste à nous. Le rôle de l’artiste, c’est de le reconnaître et d’essayer d’en faire quelque chose pour ses contemporains.
L’âge d’or, Cyril Pedrosa-Roxanne Moreil (c) Dupuis
Dans son récit, à l’intérieur de ses cases ou sur de grandes doubles pages, Pedrosa dessine souvent dans le même décor ses personnages à différents moments de l’action, comme un film qui se déroule. En bande dessinée, l’ellipse c’est plutôt le vide. On utilise ce qu’on ne montre pas entre les cases pour suggérer le temps ou le déplacement. Dans l’album, l’ellipse est ramenée dans l’image et ça c’est très intéressant. Quand on dessine un personnage qui se déplace à plusieurs endroits dans un décor, il y a du vide, bien sûr, parce qu’on ne raconte pas tout le déplacement, mais on crée une tension visuelle et narrative qui permet de suggérer du temps, de suggérer de l’espace, et qui permet de raconter plusieurs actions en même temps.
Interviewlong format
L’âge d’or, Cyril Pedrosa-Roxanne Moreil (c) Dupuis
Dans ce récit épique souffle un réjouissant vent de féminisme, à travers la princesse Tilda, monarque éclairée et vengeresse, et au sein d’une curieuse communauté féminine qui recueille la princesse blessée. Le féminisme est indispensable, j’en suis personnellement convaincu Mais que sera l’utopie de demain ? Je n’en sais rien. Par principe, ce qui adviendra ne sera pas l’utopie. Le jour où les hommes et les femmes seront clairement égaux, ce ne sera plus une utopie, ce sera le réel, ce sera comme ça. Mais pour l’instant, c’est plutôt de l’ordre du vœu, c’est quelque chose pour lequel il faut encore beaucoup se battre.
L’âge d’or, Cyril Pedrosa-Roxanne Moreil (c) Dupuis
C’est difficile de parler d’utopie dans l’époque contemporaine. Par contre si on prend du recul, les choses apparaissent différemment. Le paysan du 12 ème siècle a l’impression que son monde féodal est éternel et qu’il est naturel que son seigneur ait droit de vie ou de mort sur lui. Le lecteur lui, il sait que ce n’est pas vrai. Quand le paysan du 12 ème siècle commence à se dire qu’un autre monde est possible, le lecteur se dit aussi qu’un autre monde est possible. C’est une manière de dire qu’aujourd’hui on est peut être dans une situation où on croit les choses immuables, irréversibles et éternelles alors, qu’elles ne le sont pas.