Dans La part merveilleuse, leur nouvelle BD, Ruppert & Mulot invite les Toutes, d’énigmatiques créatures extraterrestres, capables de toutes les métamorphoses à squatter notre quotidien pour révéler notre intériorité et émotions et mettre à jour les failles de la société.
Les Toutes sont des créatures extraterrestres. Un beau jour, ils ont envahi la terre et ils ont été bien accueillis. Il faut dire qu’ils sont très beaux et ne demandent rien. Ils ressemblent à de grandes sculptures abstraites, translucides et irisées, qui se déploient dans les villes et les campagnes. Certains sont lumineux. Parfois, ils peuvent bloquer la route mais si on leur demande avec douceur, ils se déplacent de quelques mètres pour laisser le passage. On ne sait pas d’où viennent ces êtres doux, à priori pacifiques, ni ce qu’ils veulent puisqu’ils ne communiquent pas. Ils se contentent d’être là et de se faire admirer.
Jeune homme sans histoire, Orsay est revenu s’installer en province pour être près de sa mère malade. Dans ce havre paisible, il a pris un boulot de jardinier municipal. Contaminé par le contact d’un Toute devenu agressif, il voit soudain ses mains devenir des excroissances capables de toutes les métamorphoses.
Dialogues à cache cache
Tandem de scénaristes et dessinateurs, Florent Ruppert et Jérôme Mulot se sont rencontrés aux Beaux-Arts de Dijon en 1999 et publient ensemble depuis 2005. Dans leurs premiers albums en noir et blanc, il explorent la narration avec un goût pour l’humour absurde et le burlesque visuel. Ils abordent ensuite des récits plus ambitieux en couleur où l’aventure se mêle à l’humour et à leur goût pour le dialogues à cache cache. Ils font merveille dans La Grande Odalisque / Olympia, le diptyque réalisé avec Bastien Vivès, puis avec La Technique du périnée, qui narre les relations sentimentales et sexuelles désenchantées de deux trentenaires au temps des applis de rencontre.
Science fiction, atypique
Avec ce nouvel album, le duo confirme sa singularité dans la bande dessinée d’aujourd’hui. La part merveilleuse est l’occasion pour eux de changer encore de registre pour un récit de science fiction atypique où l’étrange se mêle au quotidien dans un contexte de contestation citoyenne du pouvoir. Avec ses compagnons activistes pro-toutes qui ne reculent devant rien pour arriver à leurs fins, Orsay est embarqué malgré lui dans une suite d’événements de plus en plus incontrôlables.
Le dessin réaliste, léger et très lisible joue sur le contraste entre l’étrange beauté hermétique des Toutes avec l’environnement contemporain, champêtre ou urbain. Cela donne de grandes planches spectaculaires au dessin délicat et contemplatif parfois enrayée par un bref déchainement de violence inattendue.
Se concentrer sur les émotions
Orsay découvre rapidement qu’il est capable de se connecter aux Toutes, ce qui donne des pages complètement psychédéliques où le jeune homme flotte dans l’esprit de la créature dans un kaléidoscope de formes, de couleurs et d’objets. Dans ce récit surprenant, qui se lit d’une traite, les auteurs prennent soin de ne pas trop expliquer pour garder une part de mystère et pour se concentrer sur les émotions et les affects de leurs personnages qui doivent gérer aussi leurs relations de couple compliquées et le cancer de la maman d’Orsay. La science-fiction est ici un filtre pour explorer la nature humaine et appréhender de manière tactile et visuelle la beauté et les émotions intérieures et, à l’opposé, la réponse de la société contemporaine face à tout ce qui sort du cadre. Alors que les Toutes apparaissent désormais comme une menace, Orsay et ses compagnons, pourchassés par la police, vont devoir choisir le camp dans le prochain épisode de cette intrigante et envoutante saga.
La part merveilleuse, Ruppert & Mulot, Dargaud,
tome 1 les mains d’Orsay, 156 pages couleur, 22,50 euros
tome 2 les yeux de Juliette, 136 pages couleur 22,50 euros