Avec son héros Bob Leclerc, le québécois Grégoire Bouchard nous emmène dans une BD qui renoue avec la science fiction des années 50. Dans cette aventure paranoïaque, réaliste et détachée, une équipe d’astronautes super entrainés s’embarque dans une fusée vers la planète Mars pour sauver l’humanité. Rien que ça !
Le pitch
Le 1er juillet 1959, le captain Bob Leclerc, vétéran de la sale guerre contre les asiates voit deux hommes en noir, imper et feutre mou vissé sur la tête, venir le cueillir dans son trois pièces miteux de Québec pour une mission de la plus haute importance. Participer à la guerre totale contre les Martiens. On a vite compris qu’on est plongé en pleine uchronie, une histoire de science-fiction et de héros au parfum rétro. Son auteur, Grégoire Bouchard est un Canadien issu du monde des fanzines qui plonge ses histoires de science fiction dans un passé construit à partir des vieux films et BD des années 50.
Injonctions messianiques
Notre héros est emmené à Cotopaxi, une base militaire au milieu de la nature sauvage canadienne. On y prépare dans le plus grand secret l’envoi de la fusée thermonucléaire U3 vers Mars avec pour mission d’y déverser un poison mortel dans les canaux. L’essentiel du premier volume qui dépasse les 200 pages ne quitte pas le périmètre de la base. On y suit, pas à pas, heure après heure, l’entrainement ardu et parfois la solitude intérieure, des cinq spacemen de l’équipage. On n’hésite pas à consacrer huit pages à la visite découverte des entrailles de la fusée. Aucun détail ne nous est épargné, des explications techniques sur la mission et son matériel aux injonctions messianiques sur le sauvetage de la race humaine. Derrière ces poncifs tous droits issus de cette littérature de genre qui le fascine, l’auteur glisse régulièrement des contrepoints ironiques ou cyniques. A d’autres moments, les dialogues qui balancent entre spleen et exaltation dégagent une étrange poésie diffuse. Dans les situations désespérées, la seule issue est l’optimisme aveugle.
Détachement froid
Le dessin au trait est précis et hyper fouillé pour ce qui est des décors et des engins. Avec souvent quatre grandes cases par planche, Bouchard installe un rythme lancinant et presque répétitif. Les personnages par contre ont le visage curieusement allongé ou ratatinés, les yeux enfoncés et minuscules dans des statures un peu raidasses leur donnent un air éteint qui fait un peu penser au dessin de Carlos Sampayo. Dessiner une bande dessinée me fait penser à l’assemblage d’une maquette d’avion ou de sous-marin. Il faut coller plein de morceaux et ensuite les recouvrir de peinture. Les morceaux doivent bien s’ajuster entre eux. J’aime les monstres, j’aime ce qui se décompose, j’aime recomposer le décomposé! expliquait l’auteur. On navigue dans un univers à la Blake et Mortimer ou Bob Morane mais trempé dans un détachement froid et fataliste teinté de mélancolie.
Echappées oniriques
L’entrainement intensif et les abrutissantes explications du professeur Adelard Tremblay sont à peine interrompus par une excursion dans la campagne et un curieux intermède avec un dinosaure, et l’inévitable traître démasqué à temps. La tension monte, les spacemen sont tentés d’avaler un des caramels à la benzedrine prévus pour aider la descente dans l’atmosphère martienne. Mais ils se retiennent, hantés qu’ils sont par l’importance de leur mission.
Le deuxième volume démarre avec la fusée pointée sur Mars. Avec son sens aigu du détail, Bouchard nous fait partager la vie de l’équipage pour 60 jours de voyage bien remplis jusqu’à la planète rouge. La fusée que les martiens voient arriver est semblable au cauchemar argenté annoncé par la prophétie. Il crèvera le ciel rouge de notre monde épuisé dit la légende, mais à la fin tout recommencera. On ne va pas « divulgacher », comme on dit sur les rives du Saint-Laurent, la suite d’un récit riche en surprises jusque dans ses dernières planches. Si ces aventures de Bob Leclerc peuvent se lire au premier degré comme un récit épique mélé de paranoïa, il nous plonge aussi dans un entre-monde un peu étrange, qui nait des régulières échappées oniriques dans l’imaginaire des personnages bien moins lisses que la carlingue de leur fusée.
Le Cauchemar argenté et Terminus, la Terre, Grégoire Bouchard, Mosquito, 205 et 172 pages couleur, 25€/vol
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