La dessinatrice Gabrielle Piquet signe avec La nuit du Misothrope, publié chez Atrabile une fable mélancolique sur l’anonymat des grandes villes et sur l’importance des petits gestes et des attentions les plus simples.
Le mystère
C’est un quartier banal dans une ville américaine anonyme avec des gens aux fenêtres et des passants qui se croisent aux feux rouges sans se regarder, sans se parler. Une constellation de solitudes rongée par une même inquiétude, celle de disparaître. Depuis quatre ans, la nuit du quatre au cinq août, quelqu’un disparaît, s’évapore sans laisser de traces. Et quand on se rapproche de cette date fatidique, l’angoisse monte, mais c’est une angoisse stérile qui ne débouche sur rien.
Sur cette trame minimaliste, Gabrielle Piquet construit un « slow mystery » qui se développe à pas feutrés sur les traces du misothrope, ce croque-mitaine des temps modernes et des villes anonymes animé par sa détestation des hommes.
Les autres
Ce qui intéresse l’auteur-dessinatrice n’est pas l’enquête, sur ces abductions sans motivation mais ce qu’elles révèlent de la vie de tous ces invisibles, de tous ces gens qui n’ont même pas besoin de disparaître pour ne pas exister, comme personne ne se soucie d’eux. Au centre du récit, Josepha qui elle n’a pas peur parce qu’elle s’occupe d’abord des autres avant de s’inquiéter pour elle, un petit bout de femme animé d’une tendresse infinie pour la chose humaine. Le récit commence deux jours avant que le misothrope ne gomme une autre existence. Josepha fait sa tournée, apporte le journal, boit un café, papote, crée du lien, rend les gens visibles pour elle, déjà.
Le trait
Dans son dessin, Gabrielle Piquet laisse une large place aux blancs sur la page, au texte, fil conducteur d’un récit plein empathie.
Son dessin au trait élégant et minimaliste, sans un gramme de gras, rappelle celui des grands cartoonistes américains des années 50 et 60. Les yeux réduits à une tête d’épingle, les verres de lunettes à des carreaux vides à force de regarder les choses sans les voir.
Elle prend plaisir à dessiner ces foules d’anonymes et les murs de briques, avec leurs escaliers de secours, les devantures et les publicités qui dessinent la symphonie du chaos urbain.
C’est un livre modeste et puissant qui fredonne une petite mélodie, celle qui donne envie de sourire aux voisins.
La nuit du misothrope, Gabrielle Piquet, Atrabile, 96 pages noir & blanc, 17 €