Avec Wolven deux auteurs flamands signent un premier album qui raconte le vertige de l’ennui dans une bourgade imaginaire de Campine. Tournant en rond comme des loups solitaires, des ados en roue libre passent de l’autre côté du miroir dans des lieux déserts ou abandonnés.
Jeunesse hébétée
Il ne se passe rien à Hazenberg. Dans cette bourgade imaginaire du pays de Waes, les ados qui s’ennuient arpentent les rues vides sur leur skate, boivent de la bière et pissent contre le mur en regardant derrière leur épaule. Dans Wolven, cette nouvelle perle de la jeune BD flamande découverte par les éditions Bries et aujourd’hui traduite en français, Ward Zwart et Enzo Smits décrivent le vertige de l’ennui qui englue cette jeunesse hébétée comme sur un film granuleux qui tourne parfois au ralenti. C’était pour les deux auteurs la première incursion dans le monde de la BD. Ward, le dessinateur, trouvait jusque là son bonheur dans les illustrations pour la presse et les fanzines underground alors qu’Enzo, le scénariste, a réalisé plusieurs court-métrages où comme dans ces trois histoires, il ne se passe pas grand chose.
Blessure à la nuque
Dans la première histoire, Chip cache un lourd secret qui sera bêtement dévoilé par un lourdeau devant la porte des toilettes à une soirée. Il y a bagarre et fuite. Alors que l’histoire devrait s’accélérer sur un climax, on entre dans un autre espace temps, une bulle en suspension, un plongeon dans un lac désert. Putain de chaleur raconte l’expédition de trois copains à la recherche d’un fauve qu’on a vu roder dans les environs. Mais avant d’atteindre le cœur de la forêt dans laquelle ils s’enfoncent, les gamins semblent avoir oublié pourquoi ils sont là. Et ils s’arrêtent pour déguster un Snickers, la nourriture des Dieux. Dans Wonderworld, on s’attache à Kip qui a fait une vilaine chute au skate et s’en tire avec une blessure dans la nuque qui ne prétend pas se refermer et continue à saigner avec insistance. Autre conséquence, il est plongé dans d’étranges rêves où il se retrouve avec le James Dean de la Fureur de vivre ou avec les gamins des Goonies.
Illumination
Tournant en rond comme des loups solitaires enfermés dans leurs existences banales et déjà sans futur, les ados de Hazenberg sont irrésistiblement attirés par les lieux abandonnés. Dans ces lacs aux eaux noires, forêts impénétrables ou ces parcs d’attractions déglingués, ils seront seuls au monde, mais ils seront les rois.
L’ennui n’est peut-être pas une si mauvaise chose, quand on s’y laisse dériver. On peut alors atteindre des rivages insoupçonnés, une illumination par le vide. Dans leurs récits en images, Ward et Enzo excellent à traduire ce temps qui s’étire, ces moments où on a tout à coup l’impression que l’air s’épaissit ou qu’une lueur fantomatique perce l’obscurité. Dessinées au crayon et imprime dans un monochrome bleuté, les images jouent avec les cadrages et les flous, avec des images par moments surexposées.
Singulier dans sa narration, cet album l’est aussi dans la forme, car aux récits imprimés sur un sensuel papier journal s’ajoutent un livret avec un récit spin-off, une publicité pour le parc d’attraction et un article découpé dans la presse locale. Bienvenue à Hazenberg.
Wolven, Ward Zwart – Enzo Smits, Editions Même Pas Mal, 204 pages une couleur + livret 20 p, 26 €
Disponible sur BAZAR e-SHOP