Dans le miroir de la peau, nous sommes beaux et fragiles à la fois. Les corps humains ou végétaux sculptés par Berlinde De Bruyckere nous paraissent tout sauf étrangers parce qu'ils nous sont proches, parfois trop proches.
Berlinde De Bruyckere est, à sa manière, une romantique habitée par les émotions et les passions humaines. Romantique encore parce qu’elle recherche la beauté enfouie dans de vieux meubles ou de vieux tissus. Elle parle de l’amour, de la mort, de la force, de la faiblesse et de la compassion. Ma production est assez limitée parce que chaque œuvre est le résultat d’une immersion émotionnelle très intense. Il m’arrive souvent d’être touchée par une image dans un journal ou à la télévision. Dans ces moments-là, j’ai un besoin pressant de traduire cette vibration intérieure dans une œuvre. Pour trouver des réponses pour moi-même, mais aussi pour d’autres gens. Je pense que dans mon travail, il y a une dimension de consolation qui est très visible. Aujourd’hui, on ne partage plus beaucoup les émotions par la parole. On a perdu tout ça. Les œuvres d’art peuvent y participer.
Qu’elle sculpte des corps humains, des troncs d’arbres ou des bois de cerfs, Berlinde De Bruyckere a trouvé dans la cire un matériau sensible, en résonance avec toutes les émotions. J’aime travailler avec la cire, parce que c’est un matériau qui ne bouge pas et qui m’écoute. Je pars de moulages faits d’après un arbre ou d’après un modèle, que je vais ensuite refaçonner. La cire est très facile à travailler et à déformer. C’est un matériau qui permet aussi beaucoup de nuances dans les couleurs. Comme un peintre, je peins avec plusieurs couches successives de cire colorée pour arriver à une œuvre en trois dimensions.
Les corps qu’elle sculpte ne sont jamais complets. Ils n’ont pas de tête, certains membres sont inachevés. Il y a des trous, pour rappeler qu’au-delà du réalisme, il s’agit de sculptures, pas de vrais corps. Je ne fais jamais de tête, ce n’est pas intéressant parce que cela distrait le spectateur. On n’a pas besoin de ça, j’ai envie de parler de la condition humaine, pas d’un individu en particulier. Pourtant, dans le détail de la peau, le dessin de veines qui affleurent, le pli d’un genou, la courbe d’une épaule, on croit se reconnaître comme dans un miroir. Le corps, c’est ce qui nous rassemble tous, pourtant il crée souvent une distance. Certaines personnes n’aiment pas regarder les sculptures parce qu’elles font remonter des expériences de vie et aiguisent leur regard sur leur propre corps, d’autres ont envie de rentrer dans mon univers pour mieux savoir qui ils sont.
Dans ses œuvres récentes, les troncs d’arbres occupent une place de choix. Toujours en cire, ils sont comme encastrés dans de veilles armoires au-dessus d’une pile de couvertures élimées comme pour demander de l’attention et appeler à plus de respect pour la nature. Présenté à Venise, « Crippelwood », un géant blessé couvert de bandages de fortune, en impose. En même temps, quand on regarde la couleur, on voit qu’il est vivant et il y a aussi comme une sorte d’éjaculation, qui donne beaucoup d’énergie. Ce contraste entre force et faiblesse, c’est le côté humain.
Berlinde De Bruyckere, Sculptures & Drawings 2000 – 2014, jusqu’au 15 février 2015 au Smak, Jan Hoetplein 2 (Citadelpark), 9000 Gand, T. +32 (0)9 240 76 01, www.smak.be
Du mardi au dimanche de 10 h à 18 h