Chanteuse, musicienne et comédienne, Camélia Jordana signe avec Lost un album très personnel qui secoue ses influences et ses origines multiples dans un envoûtant kaléidoscope musical comme un instantané du chaos contemporain.
Celles et ceux qui ont encore à l’oreille la Camélia Jordana de Non, non, non seront sans doute bien surpris par son nouvel album Lost publié quatre ans après le précédent Dans la peau. Fini la chanson française aux accents pop, place à une musique plus personnelle qui sonne comme un grand zapping entre toutes ses influences et ses origines. Loin d’être indigeste, ce grand mix parfaitement maîtrisé régale les tympans.
Sorti après un premier EP de trois titres réalisé avec Laurent Bardainne, la chanteuse, et désormais actrice, a voulu prendre les choses en main avec un album qui reflète tant ses plaisirs d’écoute que ses origines multiples française, algérienne kabyle.
Réagir au chaos
Dans la vidéo de Gangster, premier titre extrait de l’album elle s’amuse à jouer avec les images et les identités. Présentatrice télé, activiste dans une manif, jeune arabe coincée par deux flics dans un commissariat ou diva glamour de la téléréalité, elle balance les personnages sur un morceau funk électro à la basse énorme où elle n’a pas peur d’écorcher sa voix.
Dans le dédale où elle nous invite à la suivre, elle n’hésite pas à passer du français à l’anglais et à l’arabe, parfois dans une même chanson. Sa voix voilée et caressante est le fil conducteur de ces montagnes russes musicales, une voix dont elle a encore étalé les registres depuis ses débuts.
Le son est à la fois électronique et organique avec de brèves échappées presque expérimentales. Elle a voulu dans cet album réagir au chaos du monde tel qu’elle le voit et telle que peut le vivre une jeune femme riche d’une double culture.
Ne plus faire profil bas
Freestyle où elle évoque les contrôles au faciès se déroule sur une mélodie lancinante à la rythmique aquatique où elle laisse tomber une voix lascive.
Freddie Gray, avance sa mélopée fragile en hommage au jeune noir dont la mort sous les balles de la police est à l’origine des émeutes de Baltimore. Mon cœur est aussi noir que ma peau chante-t-elle comme un doux gospel d’espoir pour ne jamais plus devoir faire profil bas. Après le single Gangster placé au centre du labyrinthe, le disque s’écoute comme un long voyage aux parfums d’Afrique avec l’ensoleillé et nonchalant A girl like me, s’enveloppe du trip hop arabisant de Empire se suspend dans la mystique de Inch Allah avant de se laisser bercer par les guitares empruntées au blues malien de Ena, et se termine par Ignore et Pas ton temps avec leur rythmique tourbillonnante de transe où s’entendent des échos des youyous féminins et de la musique gnawa.
Alors je dis j’ai pas trente ans chante t-elle avant de conclure un album atypique d’une jeune artiste qui refuse de se laisser formater et qui ne refera pas deux fois la même chose. Raison de plus de l’écouter maintenant.
Camélia Jordana, Lost, CD Arista France/Sony music, 12 titres, 43 minutes
Elle sera en concert au Botanique le vendredi 15 novembre 2019