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Adrian Crowley
Dark Eyed Messenger, Adrain Crowley (c) Chemikal Underground

CD
Les silences enchantés
d’Adrian Crowley

Gilles Bechet -

Il y a des voix qui peuvent vous prendre en douceur. Comme la réverbération d’une petite flammèche dans la nuit. Quand on s’en rapproche, elle diffuse une chaleur tiède, mais on la sait fragile. Comme celle d’Adrian Crowley.

 

 

Musicien discret, le Dublinois vient de sortir son huitième album, Dark Eyed Messenger. La voix grave et profonde, il est de la trempe des Leonard Cohen ou Nick Cave. En plus doux. A la parution de son précédent album Some Blue Morning, plein de bruissements de cordes et de nappes d’harmonium, la presse irlandaise en faisait un des trésors musicaux cachés de l’île au trèfle. Ce n’est sans doute pas avec ce nouvel opus qu’il va gravir les échelons de la notoriété, mais il serait dommage de passer à côté des nouvelles chansons d’un artiste en pleine possession de ses moyens.

Les espaces justes

L’album s’ouvre avec The Wish sur un accord flottant au piano introduisant Adrian qui chante You are the north, you are the compass. La chanson avance, truffée d’échos et de silences qui n’en sont pas vraiment. C’est un défi de trouver les espaces justes pour placer les moments de silence. J’y pensais déjà en écrivant les chansons, je pense que ça aide. C’est tellement facile de remplir tout l’espace. Dans les studios modernes, on a tellement de facilités, surtout avec le digital. On peut multiplier les pistes audio jusqu’à la centaine, et elles auront chacune quelque chose de différent. Certains disques en ont besoin. Parfois ça ne se résume même qu’à ça. remarque-t-il.
En posant sa voix sur la musique, il donne l’impression de chercher à ralentir son chant et retenir les mots autant que possible. Je le fais naturellement. Quand j’écris, j’aime donner de l’espace aux mots et à cette sorte de rémanence qui vient d’une phrase qui n’est pas interrompue par d’avantage de mots. Ça les fait résonner d’autant mieux dans votre esprit.
L’album a été enregistré en quatre jours à New York avec Thomas Barlett, musicien et producteur, qui a notamment collaboré avec Sufjan Stevens. Il y joue du piano, du Melotron et truffe chaque plage de douces et mélancoliques dissonances. Avant de commencer l’enregistrement, il a fait une suggestion radicale : Cette fois-ci ce sera sans guitares.
Il lui semblait que ça donnerait plus d’espace et aussi, il a senti que mes chansons n’avaient pas besoin de guitares tout le temps.

Une expérience un peu onirique

Et de l’espace, il y en a dans ces chansons en suspension où les notes de piano s’égrènent, portées par de discrets traitements sonores qui sont comme des nuages froissés qui rendent la musique plus aérienne et irréelle encore, en contraste avec la voix toujours à l’avant plan, prête à se lover au fond de l’oreille de l’auditeur. L’enregistrement était pour nous un peu comme une performance. On était à deux dans une toute petite pièce avec les instruments. Je chantais et Thomas jouait le piano. Il commençait alors à s’animer jusqu’au moment où il disait OK, on fait une prise. Tout ce que j’avais à faire, c’était me concentrer sur le chant, trouver la bonne énergie sur le flow. C’était très gai. L’atmosphère cotonneuse des chansons reflète peut-être leur origine. Adrian Crowley confie que ses textes et musiques lui viennent souvent dans une sorte d’ état second. Parfois quand je m’éveille doucement au milieu de la nuit, j’entends de la musique. Mais la plupart du temps, je ne me souviens pas comment ni quand la musique et les mots viennent à moi. C’est une expérience un peu onirique. Les chansons peuvent me venir de manières très différentes. A certains moments, je peux avoir des idées pour des bribes de musique qui résonnent dans ma tête, avec des mots ou des phrases ou bien je peux avoir un mot qui flotte et qui peut être le noyau de quelque chose de plus important.

Je travaille à l’instinct

Sa voix grave et le tempo lent de ses compositions pourraient faire croire à de chansons tire -larmes surtout que l’une d’entre elles s’intitule Valley of Tears et que sur son précédent album, il se promettait à sa belle de lui écrire la chanson la plus triste du monde. Mais lui ne voit pas les choses ainsi. Il ne se considère pas comme un triste sire, ce qu’il n’est franchement pas, il a même le rire facile. Je n’ai pas l’impression d’être attiré par la tristesse. Si ma musique paraît triste, c’est sans doute une perception objective, mais je ne cherche jamais à écrire de chanson triste. Je n’aime pas le cafard que je trouve oppressant et négatif. Mais je travaille à l’instinct, je suis à l’écoute de ce qui sort de moi.
Adrian Crowley est venu sur le tard à la chanson après des études de photographie et d’architecture. Il continue à peindre et a même réalisé une couverture pour un roman français publié l’année passée à Dublin. Je trouve que ma musique et mon travail graphique sont très liés. Ça crée un équilibre dans mon esprit. Quand j’ai peint ou dessiné quelque chose, cela peut créer une étincelle qui peut mener à de la musique. Il n’y a pas nécessairement un lien littéral entre une chanson et un dessin ou une peinture, ou encore une réponse musicale à un dessin. C’est plutôt qu’une chose mène à une autre. Comme si j’arrivais à satisfaire quelque chose qui attendait d’être satisfait.
Adrian Crowley passe par Le Botanique pour faire vivre les chansons de Dark Eyed Messenger et de ses précédents. Il ne faudra pas s’attendre à y retrouver le son ouaté de l’album. Ce qui m’intéresse, c’est de restituer l’atmosphère de l’enregistrement. J’ai envie que mes chansons expriment ce que je ressens. Et d’être dans le moment.

 

Sur la vidéo de The Wish tournée à Coney Island, à New York, deux personnages, vus de loin, partagent un banc sur la promenade face à la mer. La discussion est animée puis l’un des deux se lève et s’en va. Seul, Adrian, car il s’agit bien de lui, regarde droit devant lui. Peut-être attend-il le messager aux yeux sombres qui a donné son titre à l’album, peut-être regarde-t-il simplement le ballet des mouettes. En tout cas, il entend certainement la musique et les mots flotter dans sa tête.

 

Dark Eyed Messenger, Adrian Crowley, CD Chemikal Underground, 11 titres, 46 minutes
en concert au Botanique dimanche 28/01