La musicienne belgo-américaine Trixie Whitley revient avec Lacuna, un nouvel album où elle a trempé sa voix puissante dans un bain rythmique et électronique abrasif mijoté par Little Shalimar, producteur du duo hip-hop Run the Jewels.
La photo de l’album est tranchée, anguleuse. Le regard de Trixie Whitley, deux points noirs, à la fois francs et rêveurs. Pour son troisième album, l’artiste belgo-américaine s’éloigne du cadre blues rock blues de ses deux précédentes productions pour explorer un son plus aventureux, plus urbain teinté d’électronique et d’une rythmique plus abrasive. C’est d’une certaine manière l’album que j’essaye de faire depuis mes quatorze ans. A cet âge-là, je vivais à Gand et j’étais immergée dans la DJ culture et mon instrument privilégié était la batterie. J’ai grandi en écoutant de la musique nord africaine, du funk, du jazz et tout ce que mes parents écoutaient et puis j’ai commencé à développer mon propre univers musical dans le hip hop et l’electronica underground. J’ai toujours rêvé de rassembler ces univers dans une fusion très organique, directe et humaine avec un son très contemporain. Lacuna est le premier album où j’ai vraiment pu me rapprocher de cette vision.
Renverser les abus
Lacuna s’ouvre sur une mélopée orientalisante flottant sur un tapis électronique suivi de Heartbeat, soul mutant aux accents trip hop. Longtime Coming se déroule comme un blues sous la pluie balayé par des synthés baveux. Le rythme s’accélère et les guitares bataillent avec May Cannan, une galopade féministe sur les minorités opprimées. Quand on opprime les autres, on s’opprime soi-même. Je crois vraiment que c’est par la compassion et l’interconnexion qu’on trouvera des pistes pour renverser les abus et l’oppression. Dandy se paie les hommes, violents et brutaux, maîtres de la manipulation, la chanson où se tortille un saxophone, tel un serpent termine par des mantras qui déclinent toutes les identités derrière lesquelles se cache cet homme prédateur. Quand je suis confrontée à des extrémistes, je peux vite avoir des pulsions agressives. Il faut arriver à surmonter ça et ne plus penser que vos croyances et votre morale sont les seules vérités. Elles sont multiples dans ce monde. Mais il y a une vérité universelle c’est qu’on aspire tous à être reconnus et à être aimés. Le problème, c’est que cela peut s’exprimer de manières très différentes. Retour à la simplicité des débuts dans Fishing the Stars, où elle se suffit de sa voix d’une guitare avec un peu de reverb pour partir à la recherche de l’inaccessible étoile.
Espace intime
Née dans une famille bohème, son père était le musicien Chris Whitley, sa mère, la soeur du bassiste de dEUS, Trixie a fréquenté des musiciens et artistes, notamment le chorégraphe Sidi Larbi Cherkaoui des Ballets C de la B qui l’a menée en tournée alors qu’elle n’avait que onze ans. Plus tard, elle a collaboré avec Wim Vandekeybus et pour qui elle a joué sa musique sur scène dans Trap Town. Dans les trois premiers clips tirés de l’album, on la voit danser dans un noir et blanc contrasté, austère et graphique, portée par la sèche rythmique électronique. Une trilogie baptisée The Space Inbetween, l’espace intermédiaire, un espace intime qu’elle explore par des mouvements coulants et retenus. La rage et la puissance qu’elle laisse passer par moments dans sa voix se coulent dans ces lacunes qui s’ouvrent pour se tendre vers d’autres lacunes que nous partageons avec elle.
CD Lacuna, Trixie Whitley, CD Unday Records, 11 titres, 42 minutes
En concert, à l’AB, les 28 et 29 mai