Avec Solarius Gamma, Florian Doucet livre le premier volet de son projet Ozferti qui mêle la musique et les beats électroniques aux voix et instruments venus des terres de la Reine de Saba pour un voyage musical afro-futuriste.
Nubia Nova est une lointaine planète de sable où les esprits des ancêtres s’insinuent dans les machines électroniques et où les tribus du désert embarquent à bord de vaisseaux spatiaux pour rejoindre des cités futuristes. Nubia Nova est aussi la planète mère du projet Ozferti imaginé par le musicien et illustrateur français Florian Doucet.
Voyage musical
Troquant la clarinette et l’inspiration latine qui colorait le projet La Chiva Gantiva, le multi-instrumentiste branche ses synthés et ses programmations électroniques pour un voyage musical vers l’Afrique de l’Est et surtout l’Ethiopie. Solarius Gamma, premier album du projet, enregistré à Addis Abeba, casse les frontières entre électronique et traditionnel, Afrique et Occident, passé et futur. Des percussions hypnotiques, des basses funky bien rondes, la rythmique d’une guitare sans le moindre gras, des ornementations au synthé et des envolées vocales venues d’ailleurs brouillent les repères. Les onze titres se fondent les uns aux autres comme un long voyage musical qui ne nous lâche pas l’oreille alors que les paysages défilent. Les déserts et les montagnes arides succèdent aux cités bourdonnantes d’activité et aux orbites semées d’étoiles. Prêts au départ ?
Vous avez enregistré l’album en Ethiopie. Comment s’est passé la fertilisation avec les musiciens et vocalistes locaux ?
A la base, je pensais venir avec des morceaux assez élaborés, tout en gardant une large ouverture parce que la plupart des musiciens éthiopiens n’avaient jamais entendu mon travail. Sur place, j’ai enlevé beaucoup d’éléments pour ne laisser que le squelette du morceau, pour ensuite enregistrer les voix et les instruments traditionnels. De retour dans mon studio à Bruxelles, j’ai reconstruit quelque chose de différent par rapport à mes intentions de départ. Ça a été un va-et-vient constant entre ce que j’ai pu enregistrer et le résultat final.
Que trouvez-vous dans la musique éthiopienne, que vous ne trouvez pas ailleurs ?
Je ne me l’explique pas vraiment avec les mots. Après l’aventure de La Chiva Gantiva, je me suis plongé dedans et j’ai trouvé ça beau. Depuis près de vingt ans, j’ai toujours été fan d’ethio-jazz et j’ai découvert que ce n’est que la part immergée de l’énorme iceberg qu’est la musique éthiopienne où se côtoient une énorme variété de styles et de façons de chanter assez incroyable.
Comment avez-vous concrétisé ce puzzle sonique qu’est la musique d’Ozferti ?
Les parties vocales se partagent entre des passages chantés où mes invités éthiopiens avaient la liberté de chanter ce qu’ils voulaient dans un timing précis. J’ai aussi enregistré des boucles à partir de sons de gorge, traditionnels dans la musique éthiopienne, que je leur demandais d’improviser. J’avais envie d’intégrer cet aspect plus tribal de leur musique. Pour les instruments, je tenais à enregistrer le masenqo, l’instrument traditionnel des Azmaris, les chanteurs et poètes itinérants en Ethiopie. C’est un violon monocorde droit avec un grain très particulier qui ressemble un peu à ce qu’on peut retrouver chez les Gnawa ou dans la musique du sud de l’Egypte. J’avais en tête des morceaux où je voulais l’utiliser, parfois à contre emploi. Cet instrument double souvent la voix et avec parfois des ornementations assez libres que j’ai intégrées aux compostions sous forme de loops.
En dehors de l’Ethiopie, quelles sont vos influences musicales ?
J’écoute de tout, du métal progressif comme Mastodon ou Mars Volta et pas mal de jazz, mais plutôt expérimental, ou actuel. La scène belge est d’ailleurs en pleine effervescence. Il y a plein de projets intéressants comme Commander Spoon ou Yokaï. En musique électronique, je suis surtout attiré par ce qui se fait en Angleterre, dans la mouvance post dubstep, grime, UK bass. Pour ce projet, je m’inspire énormément de toute la musique d’Afrique de l’Est qui englobe l’Érythrée, le Soudan, la Somalie et un peu de musique de l’Égypte du sud aussi.
Musicalement, c’est très transversal. C’est autant de la musique à danser que de la musique à écouter ?
C’était un peu le challenge. Avoir une balance entre ce qui peut s’écouter et ce qui peut se danser, c’est toujours assez compliqué. Je pense que ce qui m’a aidé, c’est d’essayer de raconter en musique une histoire nourrie par l’univers de Nubia Nova. Ce n’est pas forcément avec un fil rouge très présent, mais je crois que ça donne une cohérence à l’album qui s’écoute comme un tout du début à la fin et pas comme un enchainement de morceaux les uns après les autres.
Que peut-on attendre pour les autres phases du projet ?
Les trois albums que j’ai prévus seront très liés. On commence avec Solarius Gamma qui est la galaxie. Après, on enchaine sur Nubia Nova qui est la planète d’Ozferti et puis on plonge sur une ville ou quelque chose en plan resserré. Il y aura aussi tout autour, des maxis deux titres où je vais me laisser aller à des choses plus différentes. Pour ces trois albums là, j’ai envie de creuser la musique éthiopienne et de l’Afrique de l’Est. Je suis resté deux bonnes semaines en Ethiopie pour enregistrer et je compte y retourner et rester beaucoup plus longtemps. C’est aussi une manière de créer un pont entre ma vie d’occidental et ce qui se passe là-bas. Mon but n’est pas uniquement de faire un album sur place et puis de passer à autre chose. J’ai vraiment envie de m’attarder sur cette région là que je trouve passionnante.
La musique d’Ozferti serait-elle en phase avec l’univers d’un film comme Black Panther ?
J’étais très mitigé sur ce film et je crois que beaucoup Africains l’étaient aussi. C’est chouette de voir l’Afrique dans un univers un peu différent, mais ça n’empêche pas beaucoup de clichés. Des producteurs de musique électronique comme Ethiopian records avaient fait remarquer dans un article qu’avec leurs Rois et Reines, Marvel retombait dans les poncifs du passé, un cliché dont les Africains ont envie de se détacher pour quelque chose de plus moderne avec des présidents, des ministres. J’attends donc des projets de science-fiction plus authentiques qui viennent du continent africain et je suis sûr que ça viendra parce qu’on sent sur tout ce vaste territoire une énergie et une vivacité qui n’est pas prête de s’éteindre.
CD Solarius Gamma, Ozferti, CD Humpty Dumpty records, 11 titres, 41 minutes