Tout le monde, ou presque, connait Freud, son divan et la psychanalyse. Mais sait-on vraiment comment tout cela a commencé ? Dans une BD pleine de légèreté, d’invention et de rigueur scientifique, deux auteurs anglais reviennent sur les débuts de l’aventure freudienne, les premiers pas et les doutes d’un médecin sans la sou, porté sur la cocaïne, qui a cherché à La Salpêtrière et puis à Vienne, comment soulager ses patientes atteintes de cette fameuse hystérie féminine.
Avec sa barbe blanche, il est presque devenu un même. Le praticien viennois se confond avec la psychanalyse et sa théorie de l’inconscient agité de pulsions sexuelles. Mais qui était Sigmund Freud avant la consécration et comment un jeune médecin juif sans le sou a-t-il développé ces intuitions qui allaient bousculer le paysage intellectuel occidental ?
C’est en BD qu’un duo d’auteurs anglais répond à ces questions dans un biopic qui retrace les années fondatrices de l’aventure freudienne. Et cela avec une liberté narrative et une invention graphique réjouissantes.
On n’est pas ici dans un acte de défense ou d’accusation de la psychanalyse, mais plutôt dans une fascinante plongée dans les dédales de l’esprit humain. La réussite du bouquin tient à son graphisme très lisible et agréable et aux petites touches de fantaisie qui allègent le propos rigoureusement documenté.
Tout commence par une histoire de chapeau qui va s’envoler à de multiples reprises comme des pensées insaisissables. Terminant ses études dans la Vienne policée du 19e siècle, le jeune médecin dégingandé s’est juré de mettre en lumière la noirceur qui se cache sous le vernis de la capitale impériale. Dans cette période d’incertitudes et de doutes, il découvre la cocaïne et s’enthousiasme pour les vertus de cette drogue qui sera, il en est certain, un nouveau médicament bientôt indispensable.
Les cinq mois qu’il passe à Paris à l’hôpital de La Salpêtrière avec Jean-Martin Charcot seront décisifs. Le jeune neurologue français entend bien transformer cette cour des miracles, dernier arrêt de la misère humaine en un hôpital universitaire moderne. Il aspire aussi à percer le mystère de l’hystérie, cette frénésie féminine comme on la considérait à l’époque. Dans cette étrange communauté où certaines des internées, pareilles à des divas, semblent se donner en représentation, Charcot et Freud se demandent si les femmes mentent avec leur corps et si l’hystérie ne serait pas une imposture. Pour Charcot, l’origine de ces convulsions incontrôlées ne peut se trouver que dans les ovaires. Sceptique, Freud pense plutôt à une cause non organique.
A son retour, à Vienne, il constate que ces dames de la haute peuvent également présenter les symptômes de l’hystérie. Avec les cas de deux patientes, Anna O. et Elisabeth von R., il découvre l’effet catharsique de la parole pour soigner des maux bien physiques. De nos jours, plus personne ne parle d’hystérie. Très habilement, les auteurs convoquent le fantôme de Lady Di pour souligner qu’aujourd’hui la société est toujours confrontée à d’innombrables troubles fonctionnels sans origine organique connue, soignés, souvent par dépit, à coup de médicaments. Depuis son jardin de Hampstead, en 1938, un vieil homme regarde l’avenir et se dit qu’il a encore besoin de lui.
Freud et l’hystérie, Richard Appignanesi-Oscar Zarate, Actes Sud-L’An 2, 168 pages, 19,80€