Cet été, notre chroniqueur-philo Simon Brunfaut compose son abécédaire subjectif et décalé du « lifestyle ». Tous les jeudis, à partir d’une lettre de l’alphabet choisie au hasard, un mot de la galaxie art de vivre est décrypté.
A comme Art de vivre
Pour ceux qui ne l’auraient pas encore compris, Bazar est un magazine « art de vivre ». Mine de rien – et quoi qu’en pensent les morts – c’est important la vie ; ne serait-ce que pour les vivants. À ce stade déjà, quelques précisions essentielles s’imposent. Pour ceux qui se demandent encore ce qu’est la vie, ils peuvent évidemment se référer à la définition du dictionnaire, relire les moralistes du 17 ème siècle, faire confiance à un chanteur populaire ou observer un coléoptère durant la parade amoureuse.
Généralement, on considère que la vie est cette chose un peu molle, plus au moins longue, avec quelques épines sur le dessus, et qui germe partout (principalement en milieu aqueux) en poussant des cris quand elle est triste ou lorsqu’elle est heureuse. Faisons un pas de plus : qu’est-ce que l’art ? C’est ce que fait le vivant quand il n’est pas en train de pratiquer la pêche à la mouche ou l’amour à plusieurs.
Mais voilà, un beau jour (ou bien était-ce un jour pluvieux?), on se mit à considérer qu’il fallait apporter quelques modifications à l’existence ; car on ne vit pas n’importe comment, sinon on devient n’importe qui, ou pis n’importe quoi. L’homme se réveilla donc un matin et décida que la vie n’était pas suffisante. Dans un élan soudain, il inventa un art de se lever, un art de se vêtir, un art de parler, un art d’être heureux, un art d’être juste, un art d’aimer et même un art de respirer. En d’autres mots, pour bien vivre, il faut raboter, couper, choisir entre le bien et le mal, le mocassin et la mule, le céleri-rave et le céleri- branche.
Ces recherches, menées depuis l’antiquité, ont conduit à de nombreuses conclusions dont l’humanité peut aujourd’hui se féliciter : on ne peut, par exemple, devenir un homme meilleur si toutes les nuits on jette des chats dans les poubelles. En revanche, il est fort probable qu’on devienne un homme meilleur en écoutant Bud Powell toute la journée et en caressant des labradors. Quel mode de vie adopter ? La question est sensible et demande réflexion. De quelle façon y réfléchir ? En marchant les mains derrière le dos, en se grattant le menton ou en somnolant dans un canapé. En réalité, il vaut mieux demander à quelqu’un d’autre de répondre. A qui ? A un grand père (de préférence avec une longue barbe blanche), qui se fera une joie de vous transmettre ses enseignements, à un ami bouddhiste chauve résidant à Drogenbos ou au type accoudé au bar qui plonge son nez dans son verre au moment où vous l’interpellez. Concernant ce sujet, tout homme a fort heureusement un avis.
Mais à qui se fier, me direz-vous ? Son cardiologue, son banquier, son cordonnier, son philosophe épicurien (pour ceux qui ont les moyens d’en posséder un) ? C’est afin de résoudre ce problème apparement insoluble qu’un beau matin ( ou bien était-ce un matin pluvieux?), le magazine « lifestyle » est né. Dans un magazine « lifestyle », vous trouverez des spécialistes de l' »art de vivre » en qui vous pourrez avoir toute confiance : un spécialiste « vespa », un spécialiste « tasse en porcelaine », un spécialiste « cendrier en rotin » ou encore un spécialiste « expositions d’art contemporain ». Mais comment devient-on un spécialiste « lifestyle », me direz-vous ? Les spécialistes vous diront qu’il faut savoir cultiver un certain « art de vivre lifestyle » et ne jamais craindre les explications qui tournent en rond.
Image extraite de l’article Le Bazar de Linda Tailoring sur mesure
Café Costume ©C.H./ ADAGP, Paris 2016