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L’ABC philo D comme Design

Simon Brunfaut -

Cet été, notre chroniqueur-philo Simon Brunfaut compose son abécédaire subjectif et décalé du « lifestyle ». Tous les jeudis, à partir d’une lettre de l’alphabet choisie au hasard, un mot de la galaxie art de vivre est décrypté.

 

D comme Design  

 

Sur Bazar, le mot « design  » apparaît très souvent. « Design » est un mot anglais que les francophones prononcent avec beaucoup de difficulté. Certain insistent sur la fin du mot, d’autres s’appesantissent sur le « d » de manière interminable, pendant que d’autres font retentir un « z » improbable. « Design » est intraduisible en français et présente donc phonétiquement une allure étrange : « desaaiin », « dezign », »dddesign ».

Pour toutes ces raisons, certains préfèrent se simplifier la vie en utilisant le mot « Ikea », célèbre cri de ralliement du designer en herbe, entonné à la tombée de la nuit dans une forêt suédoise. Le sens du mot « design » laisse souvent le plus averti des hommes dans la posture figée de l’espagnolette à l’intérieur d’une maison de vacances vide. Le design en appelle en effet autant au projet qu’à la forme, à la forme du projet qu’au projet de la forme.

On entend souvent le badaud affirmer que « tout est design » aujourd’hui. Rien n’est plus faux. Certaines choses sont « design », d’autres sont « très design », d’autres sont « absolument design », d’autres ne sont pas « assez design », d’autres enfin ne le sont pas du tout : un déambulateur est rarement « design », car une grand-mère n’est tout simplement pas assez contemporaine.

Or le design, bien que déjà vieux historiquement et constitué de tendances multiples, se doit d’être toujours jeune, à la page. En tournant les pages de la Bible justement, on découvre que le premier designer ne fut autre que Dieu lui-même. Son dessein, alliant un sens fonctionnel et un souci esthétique évident, fut de l’avis de tous les experts présents à cette époque, d’une rare intensité. Toutefois, son entreprise périclita très rapidement après qu’il eut décidé de se reposer sur un lit dont l’histoire ne dit pas s’il fut « design » ou non.

Preuve que le bon designer – qui est à la fois un industriel, un artiste et un artisan – travaille même le dimanche et ne remet pas les clés de l’entreprise à un homme nu qui mange des pommes dans un jardin. Cela prouve-t-il cependant que le designer n’obéit qu’aux lois du marché économique, guidé par le seul appât du gain en affichant son mépris pour le repos dominical ? À vrai dire, si le design peut se moquer ainsi des prescriptions religieuses, c’est qu’il est lui-même devenu une religion aux formes diverses et variées. D’où l’acrimonie de certains esprits chagrins pour qui le design n’est pas plus utile qu’un pot de chambre dans un crèche, polluant notre vie de futilités tout en prétendant en représenter l’épure délicate et idéale.

En réalité, loin de nous éloigner de la vie, le design nous apprend le langage subtil des objets au sein des formes secrètes du quotidien. On constate que tous les designers ont des noms de bûcherons norvégiens, d’acteurs italiens ou d’agents secrets anglais. Il se peut donc que le design soit en passe de sauver le monde.