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âge d'or
L'âge d'or (c) Pedrosa-Moreil / Dupuis

Cyril Pedrosa
Interview long format

Gilles Bechet -

Cyril Pedrosa est un auteur de bande dessinée rare. Après l’autobiographique Portugal et l’intimiste Les Équinoxes, il nous revient avec L’âge d’or, une flamboyante épopée moyenâgeuse, écrite avec Roxanne Moreil. Politique et enchantée, cette histoire parle de notre présent et de nos interrogations de manière détournée. Elle raconte nos désirs de changement et d’égalité dans un récit ambitieux et captivant de 500 pages dont le premier volet est disponible depuis l’automne 2018.

 

Dans cet album aviez-vous une envie de changement, et d’aventure après deux albums plus intimes et autobiographiques ?
Ce n’était pas tellement en réaction aux livres précédents mais plutôt en réaction aux préoccupations du moment. A ce moment là, il y a trois ans de ça, on était préoccupés Roxanne et moi par des tas de choses autour du désenchantement politique. On était un peu déprimés par le fait qu’il n’était plus possible de dire qu’on avait envie d’un monde meilleur. Ces choses peuvent paraître un peu naïves mais on avait vraiment besoin d’en parler. On a cherché un moyen et on s’est rendus compte, de fil en aiguille, que pour parler de l’utopie aujourd’hui, il fallait peut-être se décentrer et en parler à une autre époque.

 

De là le côté aventure ?
Le côté aventure est venu en même temps. Quand on s’est dit on va parler de cette histoire là au moyen âge. J’avais dans mon carnet un personnage de princesse, pas grand chose juste quelques dessins. Avec Roxanne, on a commencé à creuser le personnage à se demander quelle était sa vie. Très très vite, on a pensé à la fois à ce qui lui arrivait et on se rendait compte que tout ce qui lui arrivait était indissociable de sa volonté farouche d’émancipation. Au début c’était instinctif. Puis on s’est posé et on s’est demandé ce qu’on avait envie de dire avec ce récit. En fait, on avait envie de parler de tous ces sujets politiques mais d’une manière qui ne soit pas théorique, qui soit dans l’action, qui soit agréable à lire, séduisante même. C’est là qu’on s’est dit, il faut qu’on y aille à fond dans l’aventure, dans l’épopée, dans les cavalcades, dans les trésors et dans les épées. Et c’est comme ça qu’on a développé cette histoire là.

 

Ici, le trésor est un livre, ce n’est pas un hasard.
Non ce n’est pas un hasard parce qu’on a le sentiment que les livres c’est important parce que ça nous influence et ça nous nourrit beaucoup. Et puis c’est quand même un des objets qui contient la mémoire des hommes. Si aujourd’hui on a une petite idée de ce qu’est la révolution, de ce que sont les mouvements d’émancipation, c’est parce que ces histoires là sont contenues dans les livres. On connait Jaurès, on connait ce qui s’est passé avant, on connait les révoltes de paysans au moyen âge, on peut remontrer le fil de toutes les tentatives désespérées de l’humanité pour améliorer sa condition. Bien sûr c’est une manière de parler de ça, mais le livre, c’est aussi un objet et si c’est un objet on peut en faire un objet magique et utiliser la métaphore pour parler de tout ça. Tout s’est fait tout naturellement comme les pièces d’un puzzle qui s’imbriquent parfaitement.

 

Un livre qui a des pouvoirs, c’est un rêve ?
Non, je ne crois pas. Le livre a des pouvoirs. Je pense que l’histoire de l’humanité est faire de livres qui ont changé la face du monde. Quand Marx écrit le Capital, il change la face du monde, pour le meilleur et pour le pire, il change le destin des hommes. Je ne sais pas vous, mais j’ai des livres qui ont changé ma vie vraiment. Ce pouvoir magique est une métaphore, mais c’est un pouvoir réel de le dire. Les livres agissent sur nous fondamentalement. Les encyclopédistes ont écrit des textes qui ont changé le cours de l’humanité. Donc, on est traversé de tout ça et même la littérature et la fiction aussi. Dans la fiction, il y a l’enchantement du divertissement mais elle fabrique des imaginaires, il ne faut pas croire, ce serait une erreur de penser que ce qu’on projette pour notre futur apparaît de nulle part. Non, c’est le fruit de toute la fiction construite autour de nous et ça c’est très puissant. Construire de l’imaginaire, c’est très puissant, les humains sont nourris de ça et je pense que quand Rabelais, quand Thomas Moore, quand tous ces gens là décrivent de utopies, ils fabriquent un imaginaire qui va servir plus tard pour l’humanité.

 

L’âge d’or, c’est le réceptacle de quel univers ?
C’est un réceptacle de notre imaginaire et de nos traditions politiques, d’un long récit de l’émancipation par la lutte. Quand on écrivait ce livre, on pensait à Perrault, on pensait à Rabelais ou à Thomas Moore et même à des récits plus contemporains. Moi, je pensais à Nausicaa de Miyasaki ou à Kurosawa. Je pense qu’on est tous nourris de ce genre de références, mais après quand on est créateur, on utilise encore plus que les autres tout ça, on prend tout, on vole tout, on mange tout et après on ressort quelque chose et on dit ah c’est moi qui l’ait inventé, mais non, c’est juste la digestion de tout ça. Le livre donc il contient plein de choses comme ça et puis il contient même des références dont je ne sais même pas d’où elles sortent. Dans une création peu de choses sont conscientes finalement.

 

L’âge d’or, volume 1, Cyril Pedrosa, Roxanne Moreil, Dupuis, 232 pages couleurs, 32 €