Chaque semaine, Anouk Van Gestel repère le meilleur des sorties littéraires, relie les genres, réveille les classiques oubliés, partage ses trouvailles insolites et ses rencontres d’auteurs, d’ici ou d’ailleurs.
Franck Thilliez fait partie du cercle très envié des 5 auteurs les plus lus en France. Ces polars sont d’une efficacité redoutable, avec un sens aigu du thriller psychologique. 1991, qui vient de paraître, fait partie de ces romans où l’immersion est immédiate. Un page turner, mais pas seulement. Nous avons rencontré Franck Thilliez dans un resto des Marolles alors qu’il dégustait pour la première fois de sa vie un pain de viande aux cerises: « surprenant, mais fameux ! »
1991 – est un palindrome : effet recherché ou une année qui vous a marquée ?
Les deux en fait. Il y a plein de paramètres qui ont fait que j’ai choisi cette année-là : la volonté de revenir en arrière avec des personnages. De revenir aux origines et de raconter la toute première enquête policière de Franck Sharko. Quand j’ai créé ce personnage un peu rude, une vraie gueule en fait, c’était en 2004, il avait alors 43 ans. En 1991, il en avait 30, un chiffre rond et comme j’aime les palindromes …
Etes-vous nostalgique de ces années ? Quels sont les objets, faits ou personnalités qui vous ont marqués à cette époque ?
Oui, il y a une part de nostalgie, même si je ne suis pas partisan du « c’était mieux avant ». Aujourd’hui, si on fait abstraction du covid, on vit une époque incroyable. Il y a des choses extraordinaires qui se passent, que ce soit dans l’évolution des droits humains, de la technologie … Mais oui, on éprouve toujours un peu de nostalgie d’une époque que l’on a vécue. Pour moi, en 1991 j’avais 19 ans et c’était la première fois où je me retrouvais seul dans une petite chambre : libre. C’est aussi l’année où j’ai eu mon Bac et je l’ai appris via le Minitel, l’année où Gainsbourg et Freddie Mercury sont morts, l’année de la sortie du Silence des agneaux, un film qui m’a fort marqué.
Vous écrivez des polars ou des thrillers ? Quelle est la différence pour vous?
J’écris les deux. La mécanique d’un polar c’est de résoudre une enquête et de trouver le criminel. Dans le thriller, il y a une dynamique différente. On part d’une personne qui a une vie parfaitement normale et puis qui bascule. On suit ce personnage, il faut de nombreux rebondissements et que le lecteur accroche. Je pense faire un mélange des deux, il y a des meurtres particulièrement cruels, des rebondissements, et il y a aussi une enquête policière traditionnelle.
Je suis ébahie par la qualité de vos informations sur le fonctionnement du 36 quai des Orfèvres, sur les techniques policières, les méthodes scientifiques,… Vous avez des indics ?
Ah (rires). En fait oui, je connais quelqu’un qui y travaille et il y était déjà en 1991, ce qui m’a bien aidé car il a pu me relater comment fonctionnait la police à cette époque-là, avec des anecdotes très précises. Comme par exemple l’arrivée des ordinateurs, restés emballés dans un coin pendant un certain temps et personne ne souhaitait les ouvrir. Je fais également relire certains passages de mes manuscrits pour être certain que lorsque je parle de scène de crime ou de trucs un peu techniques, ce soit crédible.
D’après vous, qu’est-ce qui peut pousser un homme ou une femme à commettre un meurtre ? Existe-t-il une psychologie propre aux tueurs, des circonstances atténuantes, des raisons qui remontent à l’enfance ou bien pensez-vous que certaines personnes naissent avec le mal en eux ?
Il y a de tout en fait. C’est ce qui me pousse à écrire des livres. Mon intrigue démarre toujours au moment où le personnage bascule. Qu’est-ce qui a provoqué cette bascule ? Tous les spectres sont possibles. Dans 80 % des crimes, les raisons sont des adultères, des bagarres, de l’alcoolisme … Et puis il y a les psychopathes, des gens qui n’ont pas d’affect, pas d’empathie, pas de remords.. Ce sont ces personnages-là qui m’intriguent, je cherche à comprendre ce qui se passe dans leur tête, comment ils arrivent à transgresser les lois, à passer de l’autre côté. C’est intrigant. Il y a une volonté chez chacun de transgresser, une envie d’aller voir par le trou de la serrure. Moi-même j’assouvis ça en écrivant des sujets difficiles et je le justifie par le fait que je suis écrivain. C’est pareil chez le lecteur, il se décharge de la responsabilité en se disant « Ce n’est pas moi. Je lis un livre. C’est l’auteur qui … »
1991, Franck Thilliez, Fleuve Noir éditions, 22,90 €