On entre dans le monde de Stephan Balleux de la pointe du regard. On pense être en terrain familier, mais tout de suite un détail étrange nous perturbe.
Quelle est cette forme indécise qui squatte la scène ? L’artiste l’appelle le blob, un mot qui convoque une créature gélatineuse dans un film de science-fiction des années 50. Sur la toile, le blob devient une matière, une forme qui incarne la peinture et invite le spectateur à regarder autrement ce qu’il croit connaître. J’ai beaucoup expérimenté avec la peinture. J’ai travaillé projet par projet en mélangeant tous les médiums. Et il est arrivé pour moi un moment où le blob s’est imposé. J’avais besoin que la peinture prenne une forme dans une image qui existait. Je voulais qu’elle devienne un personnage qu’on pourrait palper, toucher et avec lequel on pourrait interagir. C’est pour ça que le blob est devenu comme une sculpture-peinture qui s’insinue dans le réel des images.
Si Stephan Balleux réussit à nous emmener ailleurs, c’est notamment grâce à sa virtuosité technique, une virtuosité jamais gratuite. J’ai commencé à peindre et à dessiner comme on apprend à nager ou à respirer. J’ai appris dans le plaisir. Très vite, j’ai été un virtuose, mais je n’avais pas le recul. Tous mes professeurs ont insisté sur le fait que la virtuosité, c’est un acquis mais qu’elle ne sert pas spécialement à grand-chose. À un certain moment, j’ai compris que je devais utiliser cette virtuosité comme un outil pour faire passer des choses.
Quand il pratique le portrait, c’est avec la même volonté de déconstruire les apparences. « The Wanderlust appreciation society » est une galerie de portraits d’explorateurs, illustres ou pas, qui ont défriché des terres inconnues comme il cherche à défricher la peinture. Sur internet, j’ai cherché des gens que j’ai choisis pour leur tête, pour leur faciès. J’ai peint quelques tableaux, sans me préoccuper de qui étaient vraiment ces personnages. Pour moi, ce n’était pas important. L’essentiel, c’était la défiguration. C’était ce que j’en faisais ensuite. Lors d’une expo, une dame est arrivée chez moi assez fâchée. Tout en soulignant la qualité de mon travail, elle me reprochait de ne pas me rendre compte de ce que je faisais à ces gens. J’étais content de l’entendre. C’est vrai que je les défigure de façon violente mais on ne me l’avait jamais dit comme ça. J’ai tenté de lui expliquer que pour moi c’est un réel hommage à leur personnalité, à leur volonté et à tout ce qui faisait leur étrangeté, mais elle n’écoutait pas. Elle a fini la discussion en disant : « En fait, vous ne savez pas pourquoi vous l’avez fait ! »
L’art de Stephan Balleux se nourrit de deux fondamentaux, la peinture et l’image. La peinture qu’il remet sans cesse en question et des images qu’il traque, collecte et retravaille pour y distiller le dérèglement du réel. Des images d’un passé plus ou moins récent mais surtout hors du temps. La qualité de la photographie est très importante, l’agencement de la lumière, de la composition. À part certaines images tirées de films, je ne sais pas qui exactement est représenté sur la photo. Ce qui compte, c’est qu’on ait l’impression que l’on connaît ce que l’on voit, que cela fait partie d’un corpus d’images familières à tout le monde.
Curieux, insatiable, Stephan Balleux a beaucoup expérimenté. Il a pratiqué le théâtre, la danse, la vidéo. Il a exploré différents médiums pour insuffler d’autres énergies à son travail. Finalement, il n’y a que la peinture qui m’excite à ce point et plus je l’aborde, plus je l’étudie et plus j’en fait, plus c’est incommensurable. J’ai beaucoup d’aisance à peindre, je veux la mettre à profit pour me renouveler, pour comprendre ce que les images veulent dire et essayer d’aller plus loin, pour qu’à chaque exposition, les gens qui me suivent puissent voir une autre facette du diamant qu’est la peinture à mes yeux.
Stephan Balleux, jusqu’au 14 septembre, Musée d’Ixelles, 71 rue Jean Van Volsem, 1050 Bruxelles, http://www.museedixelles.irisnet.be/