Les fils noirs tendus par l’artiste Chiharu Shiota isolent ou protègent-ils les objets qu’elle nous montre ? Réponse dans la très belle exposition proposée par la galerie Daniel Templon de Bruxelles.
Les yeux fermés, les cheveux étalés sur l’oreiller. Trois dormeuses se soustraient au brouhaha du vernissage de l’exposition de Chiharu Shiota à la Galerie Daniel Templon. Autour des lits blancs un écheveau de fils noirs soigneusement tendus dessinent comme un cocon protecteur. Créée in situ, l’installation monumentale se traverse comme une forêt enchantée ou un étrange grenier. Plongées dans le sommeil, les trois jeunes femmes semblent lovées dans une autre réalité, inatteignables, inaccessibles.
L’œuvre de la japonaise Chiharu Shiota mêle installation, performance, body art, sculpture et dessins. Le fil, un simple fil de laine noire ou rouge, apparaît comme un de ses matériaux privilégiés avec lequel elle crée des volumes fluides, presque organiques paraissant suspendus en pleine croissance. Elle place aussi dans ses compositions des objets quotidiens chargés de sens et d’émotions. Comme ici les lits ou un petit cadre avec un dessin de lapin. Ou encore les vieilles clés suspendues de son installation à la Biennale de Venise.
La mémoire est au centre de son travail. La mémoire est le fil qui nous relie au passé et aux gens. Le sommeil nourrit la mémoire et s’en nourrit. Le sommeil m’a toujours intéressé explique l’artiste qui en 2004 présentait During sleep, une première performance-installation autour du sommeil. Quand je me réveille, je me sens souvent bizarre avec cette impression de revenir d’un voyage avec des souvenirs très confus ou partiels.
Quand on voit Chiharu Shiota et ses assistantes dérouler les pelotes de laine noire, tendre, croiser et joindre les fils de son installation, on est frappé par la sûreté et la rapidité de son geste. J’ai une formation en peinture, je considère mon travail avec les fils comme du dessin dans l’espace. Quand je réalise une installation, je conserve un œil de peintre et je prends souvent du recul pour évaluer la justesse du trait et de la composition.
Pour compléter l’installation monumentale, l’exposition propose aussi quelques dessins où apparaissent des figures humaines. Je dessine toujours par période. C’est comme un journal. Les petites sculptures où une simple feuille de papier traversée de fils accentue l’impression d’une entité vivante en expansion. Sur la série Skins, l’artiste travaille sur de la toile avec du fil tendu et brodé dans des compositions bouillonnantes.
Chiharu Shiota vit et travaille à Berlin où elle a étudié avec Marina Abramovic et partagé l’atelier de Rebecca Horn À Berlin, je suis coupée du Japon et de mes racines. Je peux ainsi être plus en connexion avec mon identité et mon espace personnel. Ce sont pour moi des conditions important pour créer. Je réalise un travail qui évolue lentement et qui est peu influencé par ce qui m’est extérieur.