Pour sa première exposition monographique à Bruxelles, Joana Vasconcelos a choisi la Patinoire Royale. L’univers baroque et coloré de l’artiste portugaise y trouve un espace à la hauteur de ses envies de grandeur. De fil(s) en aiguille(s) tire le fil d’une création libre qui varie formes et techniques pour jouer avec l’intime autant qu’avec le monumental.
Material Girl, la pièce qui occupe la grande nef a de quoi donner le vertige. Sa forme monumentale a quelque chose de doucement organique. Une créature tentaculaire, une plante, un char de carnaval, un vaisseau spatial. Il y a une exubérance de couleurs, une extravagance des matières, de brillants et de strass. Trop, ce n’est pas encore assez. En s’approchant, on peut se perdre dans les détails raffinés, changer le rapport à l’œuvre. Quitter l’observation passive pour l’immersion colorée.
Petit gâteau est un commentaire ironique sur la surconsommation et sur notre appétit gargantuesque pour les douceurs manufacturées. C’est un assemblage d’innombrables petites moules en plastique coloré de bretzels, pommes, poires et fraises et en son cœur, il y a le vide. C’est une œuvre résolument pop qui distille sa critique par la séduction et le plaisir. En jouant sur la répétition, l’artiste fait écho à la standardisation et à l’illusion de nos envies. Un gâteau trop gros pour être mangé. Et à la fin, c’est toujours le sucre qui gagne.
L'artsans patins
La séduction et l’étrangeté de l’œuvre de Vasconcelos tient à ce qu’elle puise la force de son expression dans des traditions textiles artisanales portugaises dont elle se détache complètement pour explorer des territoires complètement nouveaux. On peut voir dans son travail, des couleurs et combinaisons chromatiques qui font aussi référence à l’artisanat mexicain, tibétain ou chinois. Avec ces formes indociles qui ont du mal à rester dans le cadre, Vasconcelos crée un art qui parle à tout le monde. Un art conceptuel qui n’a pas besoin de mode d’emploi.
Le miroir, avec son cadre comme un tableau, d’où surgissent ces formes cousues, tricotées et crochetées est, bien sûr, un accessoire essentiel du statut et du conditionnement de la femme. Le rose est la couleur girly qu’on attribue à l’autre moitié du ciel. L’artiste s’assume comme femme, qui a grandi dans un pays de culture machiste, mais elle ne revendique pas pour autant un discours féministe. Avec elle, la femme souvent considérée comme fragile, parfois même illégitime, devient forte et expansive.
Son trait, c’est du fil de la laine, sa toile, du tissu de couleur assemblé en patchwork surpiqué, rebrodé, accessoirisé d’ampoules LEDs et de pampilles. Joana Vasconcelos utilise et détourne des techniques artisanales et locales, de crochet broderie, parurerie ou des azulejos. L’humble travail invisible des femmes prend dans son atelier une autre dimension, Elle sort l’artisanat féminin de l’intimité pour en faire son vocabulaire universaliste et produire des pièces gigantesques.
La série Bordalo s’inspire de l’illustrateur, caricaturiste et sculpteur portugais du 19e siècle Rafael Bordalo Pinheiro. Réalisé ici en céramique, ce bestiaire se couvre d’une mantille de dentelle. Ainsi caparaçonnés, ces animaux dégagent quelque chose de rassurant et en même temps sourdement menaçant. Cette armure de crochet ambiguë cherche-t-elle à masquer, à protéger ou à enfermer ces animaux dont on ne devine pas les intentions. Facétieuse, elle a donné à son cheval au regard noir, réalisé pour l’expo, le nom de Magritte, et à un chat, la queue dressée, celui de Simenon.
infospratiques
Joana Vasconcelos est une artiste qui aime voir les choses en grand qui détourne les objets du quotidien et les techniques artisanales pour les confronter avec les enjeux de notre époque. Née à Paris en 1971, elle a fait ses études à La Cambre avant de s’installer définitivement au Portugal où elle est une des figures majeures de la movida lisboète. C’est avec La Fiancée, un lustre géant composé de centaines de tampons hygiéniques qu’elle s’est fait connaître. À Versailles, où elle a exposé en 2012, elle a accroché, entre autres, ses grandes Walkyries en tissu et posé des escarpins géants faits de couvercles, casseroles et bols en Inox. En novembre dernier, elle a entamé à Lisbonne la tournée du Pop Gallo, un coq géant sonore et lumineux qui a ensuite pris la direction de la Chine.