Par le petit bout de la maquette, Philippe De Gobert nous fait entrer dans l’imaginaire du monde de l’art. Dans une belle exposition d’été, le MAC’s expose les maquettes et les photos que l’artiste belge réalise depuis 40 ans. Un regard poétique qui crée petit pour voir grand.
L’atelier, c’est le cœur créatif de l’artiste, là où l’œuvre prend forme. Avec ses Artists’ Rooms Philippe De Gobert imagine des ateliers, d’après une photo, une anecdote ou ce qu’il aime de l’artiste. C’est une vision fantasmée, poétisée de l’œuvre qu’il raconte non pas avec des mots ou un dessin mais dans l’espace avec des objets et accessoires. Des ateliers, vides de toute présence humaine, mais pleins de tous les détails qui font une œuvre. Avec humour et candeur, De Gobert joue sur l’illusion et le trompe l’œil. L’atelier d’artiste devient une scène de théâtre dont il écarte malicieusement le rideau pour nous.
L’artiste américain Joseph Cornell a rarement mis les pieds hors des États-Unis. Il n’avait pas besoin de voyager pour connaître et rêver le monde. Ses créations prenaient la forme de boîtes où il rassemblait des objets hétéroclites trouvés chez les brocanteurs de New York . Son atelier regorgeait des vieilles cartes, de coquillages, de billes verres et de bois flottés qui débordaient de ses tiroirs. Son univers rejoint celui de Philippe De Gobert. L’un comme l’autre créent tout un univers avec des objets. L’histoire qu’ils racontent dépasse la stricte accumulation des objets, elle s’enroule dans les invisibles interstices.
A Moscou, dans le quartier de l’Arbat, Constantin Melnikov s’est construit dans les années 20 une maison-atelier qui se présente comme deux tours cylindriques emboîtées et percées de plus de deux cent ouvertures hexagonales. Une œuvre d’art totale où la lumière se fait pinceau. La magie d’une maquette, c’est qu’elle donne à voir en même temps l’extérieur et l’intérieur. Passionné de l’architecture du vingtième siècle, Philippe De Gobert a créé des maquettes démontables comme un décor de cinéma, pour y balader son œil photographique et jouer avec les lumières.
Les modèles réduits ne donnent qu’une illusion de la réalité. La photo d’une maquette ouvre des espaces insoupçonnés, abolit les échelles, fait de nous des Gulliver, des Alice ou des aventuriers de l’intérieur. Dans ses photos, ce sont les jeux de lumière qui donnent l’illusion de réalité. Même si on s’approche, on ne sait pas si elle sent le neuf. Ses occupants viennent-ils de vider consciencieusement les lieux, ou s’apprêtent-ils à envahir le hall vide de leurs effets personnels, de leurs conversations? Dehors, on devine un franc soleil d’été. Philippe De Gobert nous invite à habiter les espaces qu’il a rêvés.
Les coulisses d’un théâtre ou d’un opéra avec leurs machineries et ces fragments de décor sont l’équivalent de l’atelier pour l’artiste plasticien. C’est un espace généralement non accessible au public où sont rangés tous les ingrédients d’une œuvre. Philippe De Gobert y a travaillé comme photographe et brièvement comme constructeur de décor. La grande maquette qu’il a réalisée condense en un lieu imaginaire son expérience et sa fascination. La représentation peut commencer. Derrière la scène.
Avant de réaliser sa série de photos de New York, Philippe De Gobert n’y avait jamais été. Mais il avait croqué en rêve la grosse pomme et ses artistes. Il a mis en scène une série de lofts tels qu’il les imaginait. Un Breuer, quelques livres empilés sur le plancher, un voile de poussière; quelques gravats et c’est le début d’une histoire. Les larges fenêtres sont ouvertes sur le skyline de Manhattan qu’il restitue en maquettes, aquarelles ou photos. Lors de son premier voyage à New York, il a consacré plusieurs heures à circuler sur les lignes du métro aérien où il a pris des photos du paysage urbain. Qui correspond exactement à ce qu’on peut voir à hauteur de loft. Le rêve rejoint la réalité. Ou l’inverse.
Si Philippe De Gobert façonne des modèles réduits, Wesley Meuris réalise des maquettes au format 1/1 qui plongent le spectateur dans une expérience immersive. Les deux installations que l’artiste anversois a créées spécialement pour le MAC’s poussent encore plus loin le jeu de l’illusion. Au détour d’une salle, on longe des cages de zoo aux teintes pastel. Sans la moindre trace d’animaux, en dehors des notices explicatives. Dans la vitre, le spectateur contemple son propre reflet. Ce qui intéresse, c’est comment dans ces lieux de loisirs dédiés à la mise en scène du savoir, l’espace est modulé pour diriger le regard. Les cages de zoo nous apprennent plus sur la nature humaine que sur l’animalité.