En plein cœur du quartier Molière à Bruxelles, Strokar transforme un ancien supermarché en une plateforme des arts urbains. Des fresques réalisées par des grands noms et des artistes émergents du street art se rencontrent dans des expositions temporaires et une foule d’activités. Visite guidée
Le tintement des caisses enregistreuses, le roulement des caddies ont fait place au pshiiit des bombes de peinture et aux occasionnelles roulettes de skate. Les 5.000 m2 de l’ancien Delhaize de la chaussée de Waterloo se sont ouverts à d’autres marchandises et d’autres déambulations. Pour une durée indéterminée, il est devenu Strokar inside, centre d’art éphémère, lieu d’exposition et plateforme de l’association Strokar lancée par Alexandra Lambert et Fred Atax en 2015. Réalisé à l’arrache et à la volonté, ce projet privé, sans subsides, arrive au bon moment pour donner plus de visibilité à un art loin d’être marginal, qui fait vibrer la ville et ses habitants. Nous voulons nous brancher sur les énergies créatives de Bruxelles et être là où on ne nous attend pas. résume Alexandra Lambert.
Les graffitis sont nés dans les années 70 à New York et ont rebondi une décennie plus tard à Paris. On a envie de placer Bruxelles sur la carte internationale du street art en créant un lieu comme il n’en existe nulle part ailleurs. D’année en année, Bruxelles confirme son statut sur la scène de l’art contemporain. Un aubaine pour Strokar qui veut mettre du graffiti dans les rouages en organisant une foire internationale d’art urbain qui coïnciderait avec Art Brussels. Ça existe à Paris, mais on peut le faire à notre manière. On a un endroit incroyable. On a envie de mélanger les galeries avec des artistes qui ne sont pas représentés. En général, dans les foires d’art aujourd’hui les stands coûtent très cher et on a toujours les mêmes artistes. Nous on aimerait bien un peu bousculer tout ça. précise Fred Atax.
Le Street Art est un mouvement international dont les styles et les approches sont plus marqués par les individualités que par les territoires. C’est un mouvement qui a aussi son histoire. L’américain T-Kid, un des pionniers du graffiti ouvre le cycle d’expositions Legends of New York . J’ai commencé dans le Bronx à 12 ans à la fin des années 70. Aujourd’hui, j’en ai 57. Tout ce que j’ai fait reflète la culture hip hop des années 70 et 80. Le breakdance est né des combat de rue, le jour où on a voulu danser ensemble plutôt que se battre les uns contre les autres. Pour moi le graffiti est la forme d’expression ultime. C’est libre, c’est gratuit. J’apporte de la joie et de la couleur aux gens qui voient mon travail en allant au boulot le matin. Je suis resté fidèle aux lettres et aux typos de mes débuts, mais j’incorpore dans mon art, ce qui est nouveau pour rester pertinent.
Avant d’accueillir un supermarché dans les années 80, le temple des arts urbains qu’est aujour’hui Strokar Inside a été au début du vingtième siècle, un circuit de patin à roulettes avant de se transformer en garage automobile. La magie du lieu impressionne les artistes. Quand ils arrivent ici. Ils ouvrent des grands yeux. C’est un énorme terrain de jeu pour eux. Et ils ont tous envie de faire quelque chose. Ce qui impressionne quand on se promène dans l’antre de Strokar, c’est la diversité des styles et des techniques. Pas grand chose en commun entre le portrait calligraphique à la bombe de Denis Meyers, les squelettes facétieux de Klaas Van der Linden, l’hommage à Rubens de l’Italien Andrea Ravo Mattoni ou les dessins gothiques au pinceau de Eric Lacan. Je ne suis pas là pour éduquer les gens. J’ai envie de montrer la diversité des arts urbains. Je fais les choses que j’aime faire.
Charles Hardgrave, dit Kool Koor, a grandi avec la première génération des street artistes new-yorkais qui couvraient les murs et les rames de métro dans le Bronx au milieu des années 70. A 16 ans, il expose ses premières œuvres à la galerie Flash Moda de Manhattan. Il vient à Bruxelles pour exposer en galerie en 1984 et tombe amoureux de la ville où il s’établit en 89. Son grand loft schaerbeekois est devenu son atelier et un refuge quand il n’est pas en Tanzanie où il multiplie les projets. Des graffitis de ses débuts, il a gardé l’idée d’écrire le mouvement qu’il transpose en écriture et en formes qui s’enroulent et se déroulent sur la toile. Récemment, Kool Koor a posé ses couleurs et ses formes tout en légèreté sur un pan de mur du quai au foin, près du KVS dans le cadre du parcours Street Art initié par la Ville de Bruxelles.
Le Street Art est un ogre. Il intègre une multitude de styles artistiques glanés dans la rue, les musées ou ailleurs. Il est irréductible à un style ou un format. Inclassable, Iretge, l’est sans aucun doute. Le collectif dont le nom signifie Hérétique en occitan rassemble trois artistes du sud de la France qui sont partis sur les routes de France pour peindre, installer et performer au hasard des murs et des rencontres. A chaque étape, ils ont puisé dans des matériaux et des objets récupérés sur place. Pour marquer le week end d’ouverture de Strokar Inside, ils ont sauté dans leur veille Volvo qu’ils ont fait grimper jusqu’au deuxième étage chargée de ce qu’ils avaient rencontré en route, des déchets plastiques de méditerranée, ferrailles de la garrigue et des cartons ramassés sur les trottoirs de Bruxelles. L’idée c’était de ramener tous les déchets au supermarché pour critiquer le gaspillage et le suremballage pointe Ben Bello, une des membres du collectif.
Strokar veut se profiler comme un label et stimuler des collaborations entre artistes urbains et avec d’autres créateurs. Cope2, Tkid, Kool Koor, Oeno et JonOne ont ainsi customisé le vélo Ecce dessiné par Pierre Lallemand. Ce sont cinq pièces uniques qui ne sont pas à vendre pour le moment. On les fait voyager pour les exposer. Ils participent à notre projet de mettre de l’art urbain là où on ne l’attend pas. En collaboration avec la styliste belge Eva Wens, Fred Atax a développé une ligne de perfectos où s’illustrent 24 artistes partenaires de Strokar qui ont chacun signé leur pièce unique. Les projets fourmillent dans la tête des deux maîtres d’œuvre qui ne manqueront pas de nous surprendre avec, par exemple, une collaboration entre des Chefs belges et des artistes urbains.