Dans ses agrégations, Chun Kwang Young crée de fascinants formes et paysages nés de l’assemblage de petits éléments triangulaires emballés dans le traditionnel papier hanji. Dans ce travail minutieux et contemplatif, l’artiste coréen cherche l’harmonie dans le chaos en se reconnectant avec l’âme profonde de son pays. Une double exposition lui est consacrée à Bruxelles à la Villa Empain ainsi qu’à la Lee-Bauwens Gallery.
Le premier regard embrasse des formes rêches et hirsutes aux teintes tantôt organiques, tantôt intenses et lumineuses. De plus près, on découvre que cette surface est composée de milliers de petits éléments agencés les uns avec les autres. Et ces éléments eux-mêmes sont emballés dans un papier couvert de caractères imprimés. En jouant avec la taille et l’orientation de ses éléments qui présentent leurs angles ou bien leur surface, il accroche le regard et la lumière. On regarde la surface de l’œuvre comme on ajuste un microscope et qu’on découvre la vie grouillant sous la surface de la terre ou de la peau.
Le papier hanji se confond presque avec l’histoire de la Corée. Produit depuis le IX ème siècle à partir des fibres de l’écorce de mûrier, il est utilisé pour des tâches très quotidiennes, comme l’écriture, le dessin, la peinture, pour emballer des objets très divers, ou encore pour tapisser les sols et les murs. Né dans un petit village au sud de la Corée, Chun Kwang Young se souvient des visites régulières qu’il rendait à son grand-père pharmacien et du soin avec lequel il emballait dans du papier hanji les petits paquets triangulaires contenant ses prescriptions.
Si les œuvres de Chun Kwang Young ne portent pas de titre, elles n’en sont pas moins pleine de sentiments et d’émotion que l’artiste lance au public comme une bouteille à la mer. En s’approchant de la sculpture monumentale installée face au jardin, les oreilles les plus attentives discerneront une faible pulsation irrégulière. C’est le son d’un battement de cœur d’une personne mourante enregistré dans un hôpital. En Corée, on dit d’une personne qui s’est épuisée dans des histoires compliquées, son cœur était brûlé. Je voulais, avec cette pièce, exprimer la fragilité de l’identité coréenne dans cette époque troublée que nous traversons.
Pour ses premières agrégations, l’artiste emballait des petites pierres, qu’il a, peu à peu, remplacées par de petites structures en polystyrène. Le minéral a laissé la place au vide et à une plus grande légèreté. Certaines œuvres rassemblent jusqu’à 50.000 triangles et demandent un travail minutieux qu’il a longtemps assuré tout seul. En Corée, on n’a jamais emballé avec du carton. Quand j’emballe, j’emballe toute la culture de mon pays. Il y a dans ce geste répété à l’infini une forme de spiritualité.
Le papier qu’il utilise est passé par d’innombrables mains. Il provient de livres anciens qu’il rachète et entasse dans son atelier. Ces livres ont 50 et parfois même 100 ans d’age. Chaque feuille est elle-même un agrégat d’empreintes de doigts de tous ceux et celles qui ont manipulé ces livres. En assemblant ces pièces, il croise des parcours de vie. Pour chacune de ses agrégations, il répète le même geste et quand il manipule ces fragments de vieilles pages d’un livre, en se demandant qui les a lues, à quel moment et quel était leur sentiment. Avec ces petites formes, j’essaie de réunir des histoires différentes partagées par tous ceux qui ont tenu ces papiers. J’ai comme un rôle d’arbitre qui tente d’enregistrer leur histoire à travers ces morceaux.
On peut approcher certaines œuvres comme un oiseau survolant un paysage aride et rocailleux creusé de cratères. C’est vrai que j’ai été très durablement fasciné par les premières photos de paysages lunaires. Mais mes œuvres représentent aussi l’espace intérieur du monde humain. Autrement dit, elles expriment la mère Nature présente dans l’esprit humain. Un esprit qui se manifeste à travers un sens de l’appartenance collective et du souci de l’autre qu’en Corée, on appelle jeong. Mon travail est une invitation à la méditation pour retrouver le sens de la collectivité, mis à mal par la société contemporaine.
INFOSPRATIQUES
Formé à l’université de Hong-Ik à Séoul, Chun Kwang Young avait les yeux tourné vers l’occident et l’Amérique. Après un passage par Tokyo, il part pour les Etats-Unis et le Philadelphia College of Art où il se laisse emporter par le chaos pictural de l’expressionnisme abstrait. Après 10 ans, je suis revenu en Corée, parce que j’avais le sentiment que mon art n’exprimait pas qui j’étais véritablement. J’ai pris six mois pour voyager dans tous les pays et visiter des coins encore épargnés de l’influence occidentale. En observant le travail des paysans, j’ai réalisé que l’art était beaucoup plus que la peinture.