Il a joué avec les totems culturels de l’Amérique. Au point d’en devenir le symbole. Une vaste rétrospective de l'œuvre de Andy Warhol s’ouvre au Musée de La Boverie à Liège. Une fascinante fabrique d’images.
Andy Warhol s’est effacé derrière son œuvre, en construisant sa propre mythologie intimement liée à celle des Etats-Unis. L’exposition de La Boverie revient sur quatre décennies de création et de production mises en regard de l’histoire culturelle, sociale et politique de l’Amérique. On y retrouve de nombreux incontournables, ainsi qu’un paquet de belles découvertes. Le plus fascinant, c’est qu’à l’issue du parcours, Warhol reste un artiste insondable. Lui qui a fait de sa superficialité un masque et un miroir, nous renvoie à nos propres images du pays de Marilyn, de la soupe en boîte et de la chaise électrique. I’ll Be Your Mirror, chantait le Velvet Underground.
Andrew Warhola est né à Pittsburgh dans une famille d’origine modeste venue d’Europe centrale. Après ses études artistiques, il monte à New York où il travaille comme illustrateur et dessinateur publicitaire pour des grands magasins et des magazines comme Glamour, Vogue ou Harper’s Bazar. De manière prophétique, le premier travail confié à ce jeune homme timide, embarrassé par ses origines provinciales est l’illustration d’un article sur l’ascension sociale, le succès par le travail. Plongé dans l’éclosion de la société de consommation, il se met au service du rêve américain, dessinant d’un trait détaché et pointilliste le désir des marques et des objets. Il devient Andy Warhol.
Le premier outil de l’artiste n’est pas le trait ou la couleur, mais son regard. Avec envie, admiration et voracité, il embrasse les marques dont il répète à l’envi les produits. La beauté, il va la chercher dans une boîte de soupe ou de tampons à récurer. Les supermarchés sont les nouveaux musées, consacrant la beauté de l’usage, de la possession et de la familiarité. Les galeries sont-elles encore nécessaires quand on peut reproduire son œuvre sur des sacs, des vêtements ou des motifs de papier peint ? En quête de sujet, il demande conseil auprès d’une amie galeriste qui lui suggère de peindre ce qu’il aime le plus. Un billet d’un dollar.
Dans le scintillement du papier aluminium et de la peinture argentée qui couvrent les murs de la factory se reflète le narcissisme de la jet set et de tous ceux qui viennent là au casting comme on va au zoo avec le désir d’entrer dans la cage pour se mêler à la faune de marginaux. Dans années 60, la factory était « the place to be », une brève conjonction des astres entre l’art, la publicité, la célébrité et l’argent. Pour Warhol, la factory était un studio, un lieu d’expérimentation collective et un carnet de rendez-vous mondain, un outil autant qu’un nid. Deux coups de feu vont mettre fin à cette euphorie créative. Ceux de l’attentat qui frappe l’artiste dans sa chair mais dont il se sort miraculeusement.
Il y a dans l’ambivalence et l’excentricité sexuelle, un jeu de masques et d’artifices dans lequel se reconnait Warhol. A la factory, il aimait s’entourer de travestis qu’il faisait apparaître dans ses films tels des icônes d’une féminité sublimée. A la demande d’un galeriste italien, il réalise une série de portraits de drag queens noires ou hispaniques anonymes qu’il recrute dans les bars gay de New York. Il en fait des portraits bruts, barrés de coups de brosse puissants. Le cache-cache des apparences et du genre devient celui des couleurs saturées appliquées dans une pâte épaisse.
Les portraits que réalise Warhol sont de portraits de cour et de courtisans, sauf qu’ici c’est le roi qui peint et qui adoube. Un portrait redessiné, déstructuré au ciseau pour créer une nouvelle personnalité désincarnée et sans âge. Nantis et puissants venaient frapper à l’huis de son bureau en quête de l’immortalité et du glamour que seul Andy peut leur garantir. C’est pourtant lui qui va vers Paul Delvaux qu’il rencontre à Bruxelles en 81, dans la maison de Gilbert Périer. L’artiste pop américain admire le peintre surréaliste belge pour lequel il ressent une profonde affinité. En son hommage, il réalise une série de 10 portraits aux couleurs tranchantes.
Avec Jean-Michel Basquiat, Warhol retrouve comme une nouvelle jeunesse. Ensemble, ils vont réaliser plus de deux cent cinquante toiles. Les univers des deux artistes s’y rencontrent et se bousculent joyeusement dans un mélange de typos, de masques et de symboles. Une autre manière de disparaître dans le partage. Entre le maître et l’élève Warhol ne choisit pas son rôle, il se laisse aller au plaisir de la création s’abreuvant comme d’un élixir d’éternelle jeunesse de l’énergie joyeuse de la nouvelle scène issue du street art. Le parcours s’achève par un de ses derniers portraits. Celui d’une statue de la liberté dissimulée derrière un motif camouflage. Une image empruntée au couvercle d’une boite de biscuits vendue à l’occasion du centenaire du monument. L’ironie toujours pour emballer un propos grave et mélancolique. Pas juste une image.