A la Collectors Gallery au Sablon, Christian Astuguevieille expose des bijoux qui jalonnent plus de quarante ans de création. Des bijoux surprenants et raffinés qui subliment, détournent et réinventent les matériaux et les formes les plus inattendus.
Christian Astuguevieille est un curieux de tout. Un créatif qui se laisse guider par son instinct et par ses sens. Certains le connaissent pour son mobilier et ses accessoires en corde, d’autres pour les parfums atypiques qu’il a réalisé pour Comme des Garçons ou encore par ses dessins et peintures. Mais ce dandy discret est aussi un artisan créateur de bijoux qui aime explorer et détourner des matières peu fréquentes en bijouterie comme l’éponge, le grillage ou le plastique. Jouant avec les matières, avec les couleurs comme avec la taille, il crée de véritables objets d’ornement, des parures plus ou moins discrètes qui subliment et transforment celles qui le portent. Parfois façonnés dans une nuit de fièvre pour compléter des silhouettes de défilé ou conçus en séries ponctuelles inspirées par son imaginaire débridé ou par ses passions pour les arts ethniques, ces bijoux jalonnent une quarantaine d’années de création.
Dans une maison de coin du quartier du Sablon, la Collectors Gallery, qui s’est fait l’écrin des bijoux du 20e siècle, a rassemblé quelques-unes des pièces emblématiques de ce surprenant parcours en bijouterie qui n’a pas besoin d’or pour briller, ni de matières nobles pour se rendre précieux. Au deuxième étage entre les tiroirs à secrets et les vitrines aux découvertes, rencontre avec un homme affable et malicieux.
Du mobilier à la parfumerie, en passant par les bijoux, vous aimez explorer différentes domaines créatifs, existe-t-il des passerelles entre ces univers ?
Il y a des passerelles et des divergences. Des sujets qui font osmose d’autres qui s’ignorent, c’est absolument variable, il n’y a pas de règle. Les bijoux sont venus d’abord. Les meubles ensuite. Le parfum lui était déjà là en 1973 quand j’ai commencé à travailler pour Molinard. Tout cela forme un parcours, souvent jalonné de collaborations avec différents créateurs pour des défilés. C’est aussi initié par mon intérêt pour les bijoux ethniques. Je suis très attiré par la civilisation indonésienne et par l’Océanie qui ont fait naître beaucoup d’envies.
Le bijou ne serait-il pas un trait d’union entre le parfum et le mobilier ?
C’est absolument vrai, je suis d’accord.
Il y a toujours eu une part très organique dans votre travail qui s’exprime aussi dans le bijou ?
Oui, cette notion m’intéresse. A certains moments, mon choix des matières était très inspiré par mon travail de corde. J’ai fait des bijoux en corde, mais j’ai aussi toujours eu envie de prendre des tas de matériaux qui normalement n’auraient jamais dû devenir un bijou et de les transformer pour en faire des parures. Quand je faisais des bijoux de collection pour des défilés, c’est souvent ce que je proposais pour amener autre chose. J’ai fait des bijoux en grillage ou en éponge naturelle. A peu près tout ce qui peut me tomber sous la main pendant les préparations de collections.
Certaines matières qui ne se laissent pas nécessairement apprivoiser. L’éponge, par exemple, comment est-elle devenue bijou ?
C’était pour un défilé de Jean-Claude De Luca en 1984. L’idée était de faire un hommage à Yves Klein. On va vite chercher des éponges qu’on teint en bleu. En général, le proto arrive assez vite. Et c’est magnifique. Sauf qu’après, le styliste me dit qu’il en veut une dizaine presque toutes pareilles parce que dans les défilés à cette époque, on avait 8 ou 10 filles qui sortaient en même temps. Mais une éponge, c’est naturel et moi je ne peux pas les déformer pour les rendre pareilles. J’ai ainsi eu des nuits très blanches à cause d’un premier proto à partir duquel je n’arrivais pas à créer une homogénéité.
Et il y a l’urgence qui stresse et stimule en même temps?
C’était un coup de fil à 17h : Venez vite, on a besoin d’un autre thème pour le défilé de demain matin à 9 heures. On sait qu’on en aura pour toute la nuit, mais je trouve ça plutôt stimulant et amusant, et ce qui est le plus amusant, c’est quand on réussit à ce que ça plaise vraiment et que ça corresponde à l’idée qu’avait le créatif.
Dans les parfums, vous avez beaucoup joué avec les concepts. Dans le bijou, c’est plus difficile, on travaille avec de la matière et c’est du concret.
Si on part sur l’idée du détournement, les possibilités deviennent très étendues, presque sans limites. Dans l’exposition, il y a par exemple des bracelets en pistils de fleurs artificielles. En parfumerie, c’est différent, il y a des naturels et puis il y a des synthétiques. Et avec les synthétiques, c’est à l’infini ! Je trouve cela magnifique. Je suis un des rares à le dire parce que d’habitude beaucoup de parfumeurs veulent faire croire qu’ils ne mettent pas de synthétique, alors qu’ils en mettent un peu ou même beaucoup.
Pour les bijoux travaillez-vous aussi volontiers avec des matières synthétiques ?
Oui. J’ai, par exemple, fait des bijoux en passementerie avec des morceaux de tuyaux d’arrosage, ainsi qu’un collier en caoutchouc. À l’époque, j’avais un studio avec une grande table au milieu avec des casiers bourré des objets et matières les plus diverses dans lesquelles on puisait. J’avais la chance d’avoir dans mon équipe un orfèvre extraordinaire. Pour des défilés haute couture, j’ai fait des roses entièrement à la main, qui servent de bouton, ou retiennent des drapés et ce genre de détails. Il est depuis décédé. C’était une vraie main qui avait envie de travailler avec moi parce qu’on avait une grande liberté. Il y a deux choses que je trouve importantes. C’est que la matière dise quelque chose, mais aussi que la main qui va m’aider à donner une forme dise des choses également. C’est ce qui fait qu’à la fin, on est trois à faire le bijou, la matière, l’autre main et moi.
Qu’est-ce qui vous occupe créativement ces temps-ci ?
J’ai beaucoup de projets en parfum pour Comme des Garçons où on va sortir une nouvelle famille de produits. Je travaille aussi sur des nouveaux meubles. Ainsi qu’une sculpture énorme que j’ai fait pour une exposition pour Hermès. C’est un animal imaginaire à deux têtes, dos à dos, entièrement réalisé en corde avec une selle et un harnachement en cuir. L’idée c’est qu’on se demande quelle est la tête qui décide et fait avancer la créature et de quel côté. Et enfin, je prépare aussi une exposition de peinture pour le début de l’année prochaine.
Vous animez depuis longtemps des ateliers avec les enfants ?
J’ai fait ça pendant très longtemps. Avec deux autres personnes, j’ai été à l’origine de l’atelier des enfants de Beaubourg. J’ai beaucoup travaillé sur le sensoriel, notamment dans une exposition qui s’appelle Les Mains regardent. Je fais encore quelques ateliers mais ponctuellement parce que la cohabitation avec un groupe de 10-20 enfants est un vrai engagement. On ne baratine pas. L’enfant va tout de suite comprendre et il va adhérer tant que ce qu’on raconte et ce qu’on va essayer de faire reste crédible.
Vous avez aussi un projet avec Out of the Box à Bruxelles ?
Oui ce sera un atelier plus axé sur les senteurs et je dirais même les odeurs. Parce qu’il est toujours intéressant de faire sentir les mauvaises odeurs autant que les bonnes puisqu’elles participent à notre culture quotidienne. Je trouve intéressant de les exploiter et de les mettre en exergue. Quand on isole une odeur, elle devient différente.
Vous avez aussi travaillé sur des parcours qui explorent les sens ?
C’était des tiroirs dans lesquels on met les mains pour faire ce que j’appelle un toucher enfoui qui est différent du toucher de surface. C’est quand on plonge la main dans un sac à dos ou un sac à main pour chercher ses clés, par exemple. Ce qui m’intéresse, c’est que les gens mettent leurs mains dans quelque chose de surprenant. Dans le premier tiroir, ils hésitent, dans le second, ils hésitent encore et dans le troisième ils partent et découvrent les sensations du rugueux, du lisse, du chaud, ou du froid. Pour la réouverture du Musée de la Piscine à Roubaix, je prépare un nouveau parcours tactile. Je voudrais cette fois partir sur le toucher dans l’armoire des parents. Ce qui se passe quand on glisse les mains pour toucher les manteaux, les robes, et tout ce qui pend. Dedans il y aura de vraies surprises.
Une odeur, c’est une mauvaise senteur ou c’est plus compliqué que ça ?
Culturellement en France, le mot odeur est peut-être un peu négatif. Un jour, j’ai fait un parfum, intitulé Odeur 53 qui a marqué un moment différent dans histoire de la parfumerie. Je me suis inspiré de l’odeur du linge séché au vent, du vernis à ongles de la femme et de celle du bébé en celluloïd, toutes ces choses qui restent dans la mémoire de l’enfance. C’est devenu une odeur à laquelle j’ai donné le numéro 53. J’ai fait une deuxième odeur 71 où là j’ai travaillé sur la surchauffe de nos outils quotidiens, la photocopieuse ou l’imprimante pour créer un parfum. J’aime bien l’idée d’arriver en parfumerie avec des odeurs parce que ça casse les habitudes. Au cours de ma longue collaboration avec Comme des Garçons, j’ai souvent essayé d’amener des choses nouvelles. Avec Garage je voulais amener dans du parfum, des choses qu’on connait dans un contexte quotidien. Ces parfums ont d’avantage plu aux gens très jeunes. Car ces parfums s’éloignaient des références qu’ils pouvaient avoir. Garage n’était pas le parfum de papa ou de la tante Huguette, c’est vraiment un parfum pour eux parce qu’ils ne l’avaient jamais eu.
Zero Carat
Jewellery by Christian Astuguevieille
Collectors Gallery
12 Rue des Minimes
1000 Bruxelles
ouvert du mardi au samedi
11.00 – 18.30