UN ÉTÉ DE LA PHOTO
A BRUXELLES

Gilles Bechet -

 

 

Les années paires impriment sur l’été bruxellois une Biennale de photographie. Initiée par Bozar, Summer of photography se déploie désormais dans différents lieux de la ville. Cette fois, pas de thématique générale, mais une exploration de la diversité de la création photographique contemporaine. Visite guidée et arrêts sur images
Infospratiques
FRANCE. Paris. 11th arrondissement. Worker and student demonstration from Republique to Denfert-Rochereau. (about 1,000,000 demonstrators) May 13th, 1968. © Bruno Barbey / Magnum Photos
Le poing est levé, le feu est à l’orange et la foule est immense. Pour prendre la photo, Bruno Barbey était lui-même monté sur un feu de circulation. La vue était imprenable. L’image est devenue iconique. Aujourd’hui, l’imaginaire de mai 68, comme celui des autres mouvements de contestation de la deuxième moité du XXe siècle, repose largement sur des photos, prises par des photo-journalistes, des anonymes et des activistes. La photo elle-même est venue nourrir la contestation. Une photo est un constat, mais peut aussi devenir un slogan qui se passe des mots au profit de l’image. Le plus piquant, c’est qu’une même image peut parfois renforcer des discours antagonistes. L’exposition de Bozar rassemble des images d’archives, des photographies documentaires, des photographies d’art et des vidéos témoins des idées et des mouvements de protestation qui ont agité le monde depuis les années 60. La révolution sera photographiée ou ne sera pas.
Nina Berman, An autobiography of Miss Wish (c) Noor /Nina Berman
Le monde hyperconnecté d’aujourd’hui est à la fois près et très loin. C’est un monde où on peut se sentir seul et très solidaires. Cette exposition, qui marque la collaboration du collectif Brassage photographique avec l’agence Noor, expose sept photographes témoins des réalités et des enjeux qui agitent le planète. Nina Berman croit dans le pouvoir de la photographie pour reconstruire le réel et l’émotionnel. Andrea Bruce célèbre le pouvoir des femmes brésiliennes et Mélanie Wenger éclaire une vieille bretonne recluse dans son passé. Pep Bonet montre la communauté des transgenres et travestis. Derrière le maquillage et après le spectacle, il y a la réalité des rues. Quentin Bruno et Leonard Pongo sont retournés au Kasai pour sonder les paysages éprouvés par la guerre et la faim et se souvenir des visages pas encore habitués à la paix.
(c) Valentine Solignac, Sans titre 2014, coll du CRP
Quand l’industrie déserte un paysage, la nature respire et expérimente cette absence. Ou un grand vide qui, comme la flaque de Valentine Solignac, reflète l’immensité du ciel telle une porte ouverte. Pour cette exposition, Contretype et le Centre régional de la photographie des Hauts-de-France ont puisé dans leurs collections respectives. Des images qui sondent les paysages et les populations, mais aussi l’avenir. Michel Séméniako et ses vues fantomatiques de paysages ourlés des souvenirs de lumière ou d’une trace de fumée dans un ciel cotonneux. Dans les photos de Jean-Pierre Gilson, les gens ont repris possession des talus noircis par le charbon et les terrils sont comme des pyramides qui attendent leur sphinx. Les petits formats de Bernard Plossu, semblables à un carnet de notes, se souviennent du vide, des débris et des reflets dans les flaques. Claire Chevrier ose la couleur pour regarder les paysages d’aujourd’hui, le visage fatigué d’un contremaitre et l’énergie domestiquée des nouvelles industries.
Warsaw Pact troops invasion, Prague, Czechoslovakia, August 1968 (c) Josef Koudelka / Magnum Photos
Le 21 août 1968 les troupes du Pacte de Varsovie déferlent sur Prague pour mettre fin à l’insupportable liberté du socialisme à visage humain incarné par Alexandre Dubček. Sortis en masse dans la rue, les Pragois s’opposent pacifiquement aux chars envahisseurs. Josef Koudelka, photographe tchèque de Magnum étant présent sur place. Poussé par l’urgence, il a documenté ces mouvements de résistance par des photos qu’il a fait sortir anonymement du pays. Même s’il était non-violent, le soulèvement contre les soviétiques a fait des victimes, notamment lors du combat pour la Radio publique tchécoslovaque. Ils n’apparaissent pas sur les images qui montrent le soulèvement de toute une ville, presque sans blessés, avec des chars en feu, des poings levés et des murs qui parlent. Avant le brusque rappel à l’ordre. Et une mise au frigo pour 23 ans.
(c) Anetta Mona Chisa & Lucia Tkacova
Vérité ou mensonge, slogan ou constat, les deux artistes tchèques se sont emparées des panneaux brandis lors de manifestations féministes pour les remplacer par leurs mots à elles et jouer avec leurs sens et leurs antinomies.  Les mots sont un pouvoir, expliquent-elles. Ils dictent comment nous lisons notre passé, comment nous percevons notre présent et comment nous imaginons notre futur.  La conjonction « ou » qui arbitre les propositions est ambiguë, car elle peut indiquer soit une alternative claire, soit une indécision paralysante. Pour les artistes, ces nouveaux slogans indiquent une quête d’absolu, la détermination de tout prendre et de demander l’impossible.
Generation Tahrir (c) Pauline Beugnies
Les révolutions sont des moments d’espoir intense, souvent déçus par la suite. Les mots qu’on avait dû taire si longtemps sont inscrits sur un panneau brandis au sein d’une foule solidaire. La révolution égyptienne a malheureusement été rapidement étouffée par la répression qui a suivi le renversement de l’islamiste Morsi. Quand éclatent les premières manifestations sur la place Tahrir en 2011, la photographe belge, Pauline Beugnies, était dans la foule. Vivant en Égypte depuis 2008, parlant l’arabe, elle va suivre la mobilisation de tout un peuple, et particulièrement de la jeunesse. En s’attachant au pas de quelques femmes, elle va suivre et documenter par ses photos les changements irréversibles qu’on vécu les jeunes égyptiens. Ses photos sont également à voir dans l’exposition Unframed.
Pierre Debusshere, Portfolio 2 et 5 (c) 254Forest
Son nom s’échange dans les défilés de Paris à New York, de Londres à Milan. Pierre Debusshere a travaillé pour les plus grands magazines de mode ainsi que pour des maisons de renom, Raf Simons, Delvaux, Dior, Louis Vuitton, Adidas, ou Nike, … Et il a aussi réalisé des clips pour Beyonce et Alicia Keys. Il développe pour ses images une approche novatrice où les métamorphoses digitales deviennent les prolongations de ses émotions. UNcovered est un projet personnel qui aborde les thèmes de l’intime, de la protection et de la mise à nu. On y verra un film projeté en avant-première et 90 photographies inédites, une succession de tableaux où le corps est utilisé comme une matière picturale et émotionnelle. Débarrassée de ses artifices, la matière est simplement mise en relation avec des textures, des sons et des espaces.