Johan Muyle a rendez-vous avec Francis Picabia. Vous avez dit dada? Non, je n'ai rien entendu. Deux artistes anticonformistes, inspirés par l'imagerie populaire, bousculent la représentation, font grincer les idées et pleurer les clichés.
L’idée en revient à Jacques Verhaegen, collectionneur. Il remarque que dans sa collection et dans celles de quelques-uns de ses semblables figurent des œuvres de Johan Muyle et de Francis Picabia. Une cousine alchimie rassemble ces deux artistes qu’un demi-siècle sépare. Non pas tant dans la forme, mais plutôt dans l’esprit. C’est quelqu’un avec qui je développe des affinités culturelles et humaines, confirme Muyle. Une certaine légèreté pour aborder des sujets graves. L’air de ne pas y toucher pour provoquer la réflexion, le déplacement des idées.
Les tableaux de Picabia appartiennent à la veine réaliste kitsch du début des années 40. Celle d’un artiste qui ne veut et ne peut regarder le monde dans ce qu’il a de cupide et de monstrueux, et qui prend alors le masque derrière un faux académisme et des non-sujets qui ne lui appartiennent pas. Muyle, lui, regarde le monde, mais de manière oblique et ludique. Les œuvres qui nous sont montrées vont du grand, de l’imposant – une Harley customisée, un rhino à roulettes – à la miniature d’une décapitation.
Alors que Picabia se place, pour ainsi dire, dans l’impossibilité de signifier, Muyle a conçu « L’impossibilité de régner » en 1991, pendant l’intervalle où le roi Baudouin a fait un pas de côté et déposé sa couronne pour ne pas signer la loi de dépénalisation de l’avortement. C’était une réponse métaphorique à un sujet qui m’avait interpellé parce que c’était une drôle de remise en question du pouvoir. Un pouvoir qui se cogne la tête sur les murs comme peut le faire un animal en cage. Il y a une autre pièce qui évoque ça, c’est le roi Baudouin qui pleure au travers de ses lunettes.
« Et in Arcadia ego », la pièce la plus récente et le plus petite, reprend le titre d’une vanité pastorale de Poussin pour mettre en scène un petit personnage noir qui tranche la tête d’un homme en combinaison orange. Les images glaçantes qui s’incrustent sur nos écrans de télé, réduites à de dérisoires et minuscules silhouettes. Je voulais ramener cette actualité à une échelle de représentation peut-être plus juste que celle que donne les médias. D’autres personnes meurent de façon injuste dans le monde. Ce qui nous émeut, c’est la barbarie. Je voulais évoquer l’idée que finalement on n’est que des fourmis dans un univers beaucoup plus vaste.
Cookie Butcher est un espace où le collectionneur Jacques Verhaegen s’autorise deux ou trois fois par an à organiser des expos où rien n’est à vendre. Rassemblant autour de lui d’autres collectionneurs et, même pour ce projet, l’indomptable Raoul Vaneigem qui signe un texte au vitriol dans le catalogue. C’est un projet qui s’inscrit dans un cadre non financier. Pour le plaisir de la réflexion. Après c’est compliqué de ne pas donner de leçons, note Johan Muyle. Plus ou moins inspirées par l’actualité, ces sculptures questionnent l’activité et la condition humaine, qui est aussi la mienne. Je ne veux pas pour autant que cette expo soit prétentieuse. Des questions oui, mais surtout un dialogue et un partage.
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