Chaque vendredi, Anouk Van Gestel repère le meilleur des sorties littéraires, relie les genres, réveille les classiques oubliés, partage ses trouvailles insolites et ses rencontres d’auteurs, d’ici ou d’ailleurs.
Vous avez aimé
Le bruit des trousseaux, Philippe Claudel
Vous serez bouleversé.e par Je ne reverrai plus le monde
Ils ont arrivés à l’aube et l’ont sommé de le suivre. Il s’y attendait. On ne critique pas le parti en place sans en mesurer les risques. Dans la voiture qui le mène vers la prison, il réalise que la liberté est avant tout dans la tête. On ne pourra pas la lui enlever. Son imaginaire sera son espace de liberté. Il y puisera la force de résister à la détention et à son cortège de privations et d’humiliations. La première étant d’être privé de son image, il n’y a pas de miroir dans sa cellule : « l’absence de reflet mine la confiance en soi, afin de briser la résistance lors des interrogatoires ». La douleur aussi de ne plus pouvoir embrasser les gens qu’on aime, de ne plus pouvoir ouvrir une porte ou tendre une main pour prendre un livre,…
L’extrait
Nous sommes trois dans une cellule. Deux hommes pieux et un incroyant. Enfermés ensemble à chaque minute. Issus de milieux différents, différant encore par la culture, l’éducation, les mœurs et le genre de plaisirs que nous aimons, notre réunion dans une cellule ressemble à une collision de trains. En plus d’être culturelle et religieuse, notre différence est aussi une différence d’âge. Comme si ce n’était pas le directeur de prison qui nous avait réunis dans cette cellule, mais un auteur de théâtre, lequel, pour faire de sa pièce un succès aurait misé sur les tensions et contradictions inhérentes à nos personnalités.
Entre les lignes
Ahmet Altan est journaliste, essayiste et écrivain. Ce livre a été écrit derrière les barreaux d’une prison turque. Ahmet Altan a été condamné à la prison à perpétuité. Accusé à tort de complicité et d’appartenance à une confrérie religieuse qui aurait fomenté le coup d’Etat manqué contre le président Erdogan, il croupit dans une cellule depuis septembre 2016. Son récit, pudique et sans pathos, nous fait ressentir profondément ce que la privation de liberté veut dire. Ce n’est ni un témoignage, ni un journal, mais des éclats de textes salvateurs qui permettent à l’esprit de l’auteur de rester libre. Intéressant, forcément intéressant.
Je ne reverrai plus le monde, Ahmet Altan, Ed. Actes Sud, 18,50 €.