Chaque vendredi, Anouk Van Gestel repère le meilleur des sorties littéraires, relie les genres, réveille les classiques oubliés, partage ses trouvailles insolites et ses rencontres d’auteurs, d’ici ou d’ailleurs.
Le temps d’un café avec Fatiha Saidi
Fatiha Saidi, sénatrice honoraire, psychopédagogue et auteur, m’a invitée chez elle à Bruxelles pour parler de son dernier livre, un témoignage sur le drame des mariages forcés. Elle en démonte la mécanique et raconte avec puissance comment sortir de ce piège. Fatiha Saidi accepte de jouer le jeu d’une interview sans questions.
Réaction à 4 phrases extraites de son roman
Ce livre a pour objectif de faire connaître de manière très large les effets toxiques des pratiques telles que le mariage forcé, subi et/ou précoce sur l’avenir des personnes qui en font l’objet.
Je suis partie de mon histoire personnelle pour l’écrire, après un silence de plus de 40 ans. Parce que j’estimais indispensable et certainement utile, – sans prétention aucune -, de faire part de mon ressenti, de mon vécu, qui est fatalement subjectif, mais qui était important pour libérer la parole, parce que les faits continuent. Je me suis aperçue, après des années, que de telles pratiques avaient encore lieu. Les mariages précoces, de mineurs, ou forcés, ont encore lieu dans de nombreux pays. En Belgique aussi pour ce qui est des unions forcées. Il faut absolument les dénoncer, c’est une atteinte aux droits fondamentaux.
Me voilà installée dans une voiture inconnue. Avec un homme inconnu. Filant vers une demeure inconnue. Pour un avenir inconnu.
Cette phrase, je l’ai écrite avec beaucoup de douleur. Parce que, oui, c’est le moment traumatique qui vous poursuit toute une vie. Cette voiture qui file dans la nuit vers un appartement qu’on n’a jamais vu, avec un inconnu qu’on ne nomme pas parce qu’on ne veut ni reconnaître ce mariage, ni ce mari imposé. Avec le temps, je pense que c’est ce qui m’a sauvée : ne pas reconnaître, c’est ne pas se soumettre. On est peut-être à genoux, mais pas soumise. Cet homme, je ne l’ai jamais aimé, mais le but du livre n’est pas là, je voulais démonter la mécanique et expliquer que le jour où cette jeune femme décide de partir, après onze ans de vie commune, elle aperçoit enfin la lumière au bout du tunnel. Ce n’est pas un règlement de compte, cela l’aurait peut-être été si je l’avais écrit il y a 20 ans, mais aujourd’hui je suis apaisée et j’ai voulu utiliser les bons mots sur les vilains maux.
J’ai été anesthésiée, pendant des années, par les vertus de la patience serinées par ma mère et par les voisines : sois patiente, ma fille ! Les femmes doivent être patientes, ma fille ! Patienter, mais jusqu’à quand ? Est-ce écrit dans les textes ?
On parle d’une spécificité traditionnelle et culturelle qui ne devrait pas exister, mais pour la raconter je suis aussi partie d’un socle universel qui est le patriarcat. L’oppression des femmes par les hommes, les relations où il y a le dominant et la dominée. On voit aujourd’hui avec la résurgence de la violence faite aux femmes, qu’on n’en est toujours pas sortis. On a libéré la parole et on permet enfin aux femmes d’expliquer ce qu’elles doivent parfois endurer. Il y a quelques années, on ne pouvait pas en parler. Je le dis dans le livre : « C’est comme ça ! « . Point. Mais ce n’est pas écrit dans les textes et c’est là que les femmes sont grugées. Entre les lignes, on peut le lire comme un plaidoyer pour l’éducation des filles. Je pense qu’une fille éduquée est une fille qui échappera aux violences. Parce qu’elle pourra les comprendre, les détecter et les combattre. Il ne faut plus faire preuve de patience, il faut de l’impatience… et donner un bon coup dans la termitière pour construire une société plus égalitaire !
Par les liens forcés du mariage, Fatiha Saidi, La Boîte à Pandore éditions, 18,90 €
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