Documentariste impressionniste, Marina Cox photographie ses voyages dans les Carpates, les Balkans ou à travers la Belgique en compagnie du romancier Xavier Deutsch. Même si elle s’y est mariée, le Sud américain a d’abord été un pays fantasmé par la lecture de William Faulkner, Flannery O’Connor ou James Lee Burke, et par l’écoute de tous ces Bluesman qui ont erré sur ces routes poussiéreuses en s’arrêtant dans les juke joints enfumés des vapeurs de tabac et de bière bon marché.
Le Mississippi et la Louisiane qu’elle a photographiés sont une terre de pluie au ciel menaçant. Des villes fantômes défilent par la fenêtre de la Chevrolet. On ne sait rien de ces lieux retranchés derrières leurs volets baissés, fenêtres barricadées. Cachent-ils quelques inavouables secrets ou tout simplement ont-ils foi en cette défense dérisoire contre le prochain cyclone?
A l’intérieur, c’est une autre histoire, il y a ces cadres avec des portraits et des bouquets de fleurs pour accompagner le quotidien où de toute façon il ne se passe rien.
La végétation généreuse, luxuriante, peut vite devenir tentaculaire au point d’avaler les voitures et de s’étendre comme un tapis. On croise aussi des gens qui attendent parce qu’ils ont le temps, écrasés par la chaleur d’un orage qui ne vient pas.
Dans les bars, les gens semblent atteint d’une irrépressible graphomanie. On écrit les murs, on remplit les vides avec fébrilité et l’espoir un peu fou que quelqu’un lira ces quelques mots, un jour, plus tard, et attachera peut-être un nom, même un visage à cette écriture.
Mais on ne veut pas savoir on prend la route, celle qui se pique dans l’horizon. Le ruban d’asphalte, le bayou ou ces rails de chemin de fer, peu importe si c’est pour partir loin, tenter sa chance dans un ailleurs qui ne peut qu’être mieux
Agonizing summer, c’est l’histoire d’un retour ?
Je me suis mariée dans le Sud des États-Unis, il y a presque 30 ans. J’y suis allée plusieurs fois sans mener de véritable projet photographique. J’y suis retournée, il y a cinq ans avec une vraie envie de sillonner un petit bout du sud, de retourner sur mes pas et d’emboiter celui de certains auteurs, de musiciens légendaires du blues. Je voulais confronter le réel à l’idée qu’on se fait du sud, et tordre le cou à quelques clichés.
Et à des images que vous aviez en tête ?
Le sud, c’est d’autres codes, d’autres récits qui renvoient à des images Il y a des images qu’on se construit à travers des livres. Il y a aussi le cinéma qui nous a nourri de tout un catalogue d’images du sud dont je n’ai pas pu faire abstraction. Ces images, on les retrouve et on peut les décoder quand on y est et faire la part des choses entre le cliché, ce qui est convenu et ce qui à l’inverse va me surprendre.
Aviez-vous une envie documentaire ou était-ce le reflet d’impressions personnelles ?
Ce sont des déambulations, une espèce d’errance, l’envie de se perdre, de prendre les chemins de traverse mais sans envie documentaire. Avec ce travail, je ne reflète qu’une petite part de ce que j’ai vu et rencontré là-bas.
Pour vos images que cherchez-vous, qu’est-ce qui fait que là où vous êtes, ce que vous voyez pourrait faire une image ?
C’est quelques fois un bruit, un son, c’est deux couleurs qui se côtoient, c’est une impression, une rencontre. Avec l’âge que j’ai et la pratique de la photographie que j’ai derrière moi, je cadre tout le temps. Quand je me promène, je cadre, dans le métro, au restaurant aussi et même chez moi, je cadre. Je me laisse guider par ce réflexe en ne me refusant jamais de faire une image.
Êtes vous dans la photo narrative ou est-ce plus perceptif ?
C’est plus sensuel. Ce sont des impressions de voyage, sur des territoires que je connais bien et que j’ai beaucoup parcourus. Ce qui fait que l’aspect exotique est petit à petit évacué. A force de sillonner cet autre pays plat, parce que c’est très très plat, ce sont mes impressions de promeneuse photographe.
On a l’impression d’être hors du temps…
Dans les campagnes, quand vous sortez des grandes villes, le paysage et l’habitat ont peu évolué. Il y a quelque chose d’un peu éteint. Tous les petits centre-ville de patelins de 1500 personnes sont à l’abandon parce qu’il y a toujours un Wal-Mart quelque part à proximité. Il n’y a plus de vie ni de petits commerces. Il n’y a plus rien qui bouge depuis 25 ans à part dans quelques petites villes d’exception.
L’attrait pour le sud américain se confond avec votre amour du Blues ?
Bien sûr, le delta du Mississippi, c’est la région où est né le Blues. C’est un élément central de ce travail. Je n’ai jamais essayé de faire de l’illustration des textes du blues, mais par contre il a tracé des itinéraires, et m’a donné des raisons pour aller là ou là, suivre certaines routes, et aller dans certains cimetières. L’état du Mississippi a monté le Mississippi Blues trail, ils ont mis des plaques d’info dans plein d’endroits liés à l’histoire du blues. Tout ça est repris sur une carte. Pour moi, c’était parfois un objectif. Je me suis dit je vais aller à Tutwiler parce que c’est un des berceau du Blues, mais peu importe. Une fois que j’y suis ,je me balade et je réagis à ce que je trouve. Et je ne vais pas prendre les chemins les plus droits, les plus directs, pour aller d’un endroit à l’autre. Je prends plaisir à me perdre entre Tutwiler et Sumner, entre Sumner et Oxford, ou entre Oxford et Holly Ridge.
Et en Louisiane, c’est la musique cajun ?
C’est avec la musique qu’ils cultivent encore le lien avec cette culture cajun. Il y a des tas d’endroits où les gens continuent à faire de la musique, à aller danser. A Eunice, au nord de Lafayette, le Savoy music center c’est un magasin de partitions et d’instruments tenus par une famille de musiciens cajun. Ils ont de très beaux accordéons finis à la main. Le samedi matin, entre 9h et midi, c’est une jam ouverte. Tout le monde s’amène avec son instrument, sa guitare, son banjo accordéon et ils font de la musique ensemble. Ils peuvent être jusqu’à 150. C’est une ambiance assez unique.
Vous êtes née en Sicile, cela vous laisse-t-il un rapport particulier avec la vibration du soleil sur les paysages ?
Je ne crois pas. J’ai grandi ici. J’aime la chaleur et j’aime les sud, mais je rêve aussi d’aller au Spitzberg. Dans le sud des USA, il y a cette espèce de langueur qu’on rencontre ailleurs dans d’autres sud sous d’autres continents.
Vos photos sont rarement des photos d’action ?
Ce travail-ci est plutôt contemplatif…
C’est le paysage qui veut ça ?
C’est le paysage et la façon dont j’ai travaillé en me déplaçant beaucoup dans un pays très peu peuplé où il ne se passe pas grand chose. Vous traversez petite ville fantôme après petite ville fantôme. Il n’y a que quand on arrive dans un bar ou ces petits juke-joints qu’il y a tout à coup de l’animation. La densité de population est très très faible aussi.
C’est quoi une bonne photo pour vous ?
La bonne photo, c’est celle que j’ai eu envie de faire, c’est celle que j’ai construite avec mon regard, Derrière ce viseur, c’est ce que j’ai choisi de mettre dedans et de ne pas mettre dedans et qui rejoint mes intentions de départ. Il n’y a pas de recette, c’est vraiment une affaire de sincérité, de ce qu’elle doit m’apporter. Elle doit donc répondre à mes attentes et puis après, il y a ce que les regards extérieurs en font aussi vont ajouter car c’est un outil de communication pour dire par où je suis passée, comment je me sentais, ce que j’ai vu, ce que j’en ai retiré, ce qui m’a saisi, ce qui m’a émue, ce qui m’a interrogée.