Six ans après Cameleon Boat Mathilde Renault sort Lucky Number. Dans ce deuxième album, la pianiste et chanteuse se dépouille des couches superflues pour mettre ses émotions à nu. Entre sa voix et les cordes de son piano s’insinuent des mélodies qui prennent leur liberté et ne trichent pas.
Auto production et concert
Neuf chansons pour se rapprocher de l’heure bleue sans laisser passer sa chance. Active sur les réseaux sociaux, elle y publie régulièrement des inédits et des vidéos live. Pour répondre à l’attente de tous ceux qui l’écoutent désormais aux quatre coins du monde, elle a décidé de sortir un nouvel album en se passant de maison de disque. Une démarche libre et sincère où la musique est gagnante. En concert ce mercredi 24 janvier au Botanique
Revenir au piano-voix, est-ce une manière de libérer la voix et de la mettre plus en valeur ?
Le piano-voix met forcément la voix plus en valeur et lui donne plus de liberté, ne fut-ce qu’au niveau du tempo puisque la formule laisse plus de place à l’improvisation. Ce qui m’intéresse dans le piano-voix, c’est de donner de la place aux émotions et au silence, au temps qui défile. En groupe, on ne peut jamais avoir cette liberté. Au plus on ajoute des musiciens, au plus il faut se tenir à la partition et à quelque chose de figé. Le plaisir aussi, c’est que c’est presque comme si je jouais avec une troisième personne parce que dans le piano, les cordes résonnent. Cela me permet de jouer avec les résonances et les silences. C’est une dimension que je découvre encore maintenant, et que j’apprécie de plus en plus.
Sur cet album, vous jouez avec votre père Jean-Christophe qui a aussi écrit des textes. Comment est-ce venu, c’était le bon moment ?
C’est la première fois qu’on fait une collaboration père-fille, ce qui n’était pas du tout planifié. On aurait pu collaborer depuis le début, mais ça ne s’est pas fait parce qu’on n’en avait pas l’envie et qu’on n’était pas prêts. Si on avait décidé de faire un album ensemble, sans doute que ça ne ce serait pas fait, parce que mon père est un musicien solitaire. Il habite à la campagne et aime bien composer dans la solitude. Il écrit plus qu’il ne parle. Les choses se sont vraiment mises ensemble, petit à petit, comme un puzzle, en rajoutant pièce après pièce.
Jouer avec son père, c’est un plaisir particulier ?
Quand j’étais plus jeune, il m’avait déjà invitée à chanter sur quelques morceaux avec lui. Récemment, on a fait quelques concerts où on était ensemble sur scène, du début à la fin, ce qui était une première. Les gens ressentent cette émotion forte et particulière qui peut même être presque dérangeante par moments. Même si ça ne va jamais jusqu’à la dispute, il y a parfois des tensions. Ce n’est pas toujours évident de jouer avec un proche, mais c’est ça qui en fait sa richesse. Quand on n’est pas d’accord sur des notes dans la mélodie ou sur une part du texte, on ne le prend pas à la légère.
Est-ce qu’il vous fait participer à sa musique ?
Dans sa maison , il s’est fait construire, il y a une quinzaine d’années, une pièce réservée à la musique. Une petite pièce tout en bois à l’extérieur de la maison. On y entre par une petite trappe. C’est comme un mini studio avec un piano. J’adore y aller tard le soir et, comme il est couche-tôt et moi couche-tard, ça se goupille bien. Au début, ça le dérangeait, mais il s’est fait à l’idée que je squatte de temps en temps son refuge artistique. Forcément, on s’y croise de temps en temps. Récemment, j’avais amené mon ordi. Je chantonnais une mélodie pendant qu’il était en train de jouer et très naturellement, ça s’est transformé en une impro à deux. C’est venu de façon très spontanée. Il m’a aussi donné à lire des textes qu’il venait d’écrire en me demandant si j’avais envie de les mettre en musique. Il écrivait des sortes de petits haïkus depuis un certain temps, mais ses textes n’étaient pas nécessairement « chantables ». On a tout de même décidé de garder l’album à mon nom parce que de nous deux, c’est moi qui prend le plus souvent les choses en main.
La tonalité du disque plus mélancolique tranche avec celle de Cameleon Boat où il y avait des chansons plus joyeuses et up-tempo ?
Ce n’est pas un album uniquement mélancolique. Mon père et moi, on le voit plutôt en clair-obscur. Il y a des textes mélancoliques et d’autres plus sombres comme Unknown Beauty qui voient la réalité en face. Ça traite du côté sombre de la vie, mais avec le côté aigre-doux aussi. D’autres textes sont plus lumineux, comme Last Crazy Tango sur ma grand mère, morte il y a un an et demi. On l’adorait, c’était un vrai personnage. Même si les tempos sont lents, il y a des textes de lumière. Je parlerais plus d’un album du soir, pour insomniaques, pour ceux qui aiment veiller la nuit. C’est une recherche de magie et de beauté, avec de la mélancolie, mais aussi avec d’autres sentiments.
Est-ce une étape avant de passer à autre chose ou une source que vous avez envie de creuser ?
En terme de voix et d’émotions, je pense que j’ai trouvé ma place. C’est un univers musical où je me sens bien, même si je ne vais pas continuer uniquement en piano-voix. J’adore écrire des arrangements pour les cordes. Je vais en faire un pour Unknown Beauty que je vais publier en inédit. Mon rêve serait d’écrire des musiques de film et d’un jour tourner avec un orchestre à cordes en gardant cette liberté qui vient des impros. Je continuerais aussi les collaborations parce que je fonctionne beaucoup avec les rencontres. Comme l’album que j’ai fait, il y a quelques années avec le saxophoniste suédois Jonas Knutsson. Je n’avais jamais décidé de faire un album avec un saxophone. Les rencontres de la vie m’inspirent, je veux leur rester ouverte.
Avant de faire la musique, vous aviez pensé au cinéma ?
La musique et le cinéma sont tous deux modes d’expression importants pour moi. J’ai voulu aller à l’école de cinéma parce que je suis quelqu’un de très visuel et, inconsciemment aussi sans doute, pour me démarquer de mes parents qui étaient tous deux musiciens. A l’Insas, j’ai découvert que si j’adore le cinéma, je n’aime pas trop l’ambiance des tournages qui est souvent très hiérarchique avec chefs, sous-chefs. La première fois que je me suis retrouvée sur un tournage, j’avais 17 ans et je n’ai pas du tout aimé ça. Heureusement, il y avait un piano dans une petite salle où j’allais jouer dès que je le pouvais. Du haut de mes 17 ans, je pensais pouvoir combiner Direction Image et Musique de film. J’étais sans doute assez naïve; On m’a fait comprendre que si je voulais être directrice photo, je devrais d’abord être assistante pendant 10 ans. C’était trop technique et pas assez artistique. Je n’avais pas envie de faire l’assistante technique avant de pouvoir dans 10 ans, peut-être, devenir Directrice photo. Et le piano m’appelait.
Sans label pour le moment, vous avez choisi de sortir cet album en crowdfunding ?
Grâce à Internet, je touche presque plus de public ailleurs dans le monde qu’en Belgique. L’inconvénient, c’est quand quelques personnes me demandent d’aller jouer chez eux, au Mexique, à Prague ou à Varsovie, je ne peux pas les satisfaire. Pour cet album, je n’ai même pas envoyé mes maquettes aux labels, vu le temps que ça pouvait prendre. Je savais que des gens étaient déjà en demande de nouvelles chansons depuis un petit temps. Lucky Number était sur mon Facebook depuis un an. J’avais déjà publié la vidéo en février, je n’avais pas envie d’attendre deux ans, ça n’avait plus de sens. Tant pis si je n’avais pas le soutien d’une maison de disque, je le fais maintenant avec les gens qui sont déjà là. Ça m’a mise de bonne humeur de faire mes paquets avec mes petites dédicaces et de les envoyer dans le monde entier. C’était très excitant. Si j’avais attendu d’avoir une maison de disque qui distribue dans chacun de ces pays, je n’aurais pas pu vivre cette expérience un peu spéciale. Au moins je l’aurai fait une fois, mais je vais pas pour autant le refaire à chaque fois. Dans deux ans, je ferai surement un nouvel album.
Travaillez-vous aussi votre voix ?
Ma voix évolue, comparé aux disques précédent. Aujourd’hui, elle descend plus chercher dans les graves. C’est quelque chose dont on n’est pas maître. La voix, c’est un peu un mystère de tous les jours. Elle est influencée par le climat évidemment, mais aussi par les émotions, par ce qu’on a mangé, ce qu’on a bu, de l’alcool ou non. Pendant des années, je faisais mes échauffements voix tous les jours et maintenant, ce n’est plus aussi systématique. Avant un concert, j’arrive presque inconsciemment à savoir ce que je dois faire ou pas. Il y a des moments où spontanément j’évite de la chauffer pour ne pas la fatiguer. A d’autres moments, je vais m’échauffer. Alors, je vais marcher. Je chante et je crie, en faisant mes vocalises.
A lire ici la chronique du CD et la vidéo de Lucky Number