Quel est le meilleur messager du désir ? Cupidon ? Vous n’y êtes pas. C’est le facteur ! Du moins l’était-ce jadis, lorsque certains amants s’échangeaient encore des lettres débordantes d’amour et de bien d’autres choses !
Noces de papier
Il est un temps que les moins de trente ans ne peuvent pas connaître ! Une époque où l’on ne pianotait pas sur un clavier pour s’envoyer quelques brefs Jtm, quelques Kl1 à la va-vite. Pour déclarer sa flamme, et le reste, on prenait alors le temps de s’écrire de véritables lettres sur un drôle de support appelé papier. Mais dans le secret de leur chambre, les amants de jadis ne confiaient pas seulement leur passion réciproque. Ils savaient aussi se montrer mutins voire franchement salaces. S’il ne reste rien ou presque des lettres cochonnes que s’échangeaient nos grands-parents, certaines correspondances intimes célèbres ont bel et bien survécu.
Petite forêt noire
C’est le cas des lettres d’amour de Napoléon, lesquelles jettent un éclairage inédit sur un aspect souvent ignoré de l’empereur des Français : sa vie privée. Petit par la taille, Bonaparte s’avère être un fameux séducteur : en plus de ses deux femmes, on lui connaît cinquante et une maîtresses ! C’est aussi un grand romantique qui ira jusqu’à écrire des milliers de lettres enflammées à ses conquêtes et à se comporter en amoureux transi lorsqu’elles ne daignent pas lui répondre. Au détour de ces missives, on découvre un empereur un peu poète et gentiment porté sur la bagatelle. À Joséphine de Beauharnais, qu’il vient d’épouser et dont il est souvent éloigné, il donne ainsi, Un baiser plus bas, plus bas que le sein », et va jusqu’à écrire : Bon Dieu! Que je serais heureux si je pouvais assister à l’aimable toilette, petite épaule, un petit sein blanc, élastique, bien ferme (…) Tu sais bien que je n’oublie pas les petites visites ; tu sais bien, la petite forêt noire. Je lui donne mille baisers et j’attends avec impatience le moment d’y être… !
J’embrasse votre gentil cul : Voltaire !
Dans le genre fripon mais pas trop, on pourrait aussi classer certaines des lettres écrites par Juliette Drouet à Victor Hugo. Ils s’en échangeront plus de 20 000 sur le temps que dura leur relation ! Un peu prude, Juliette sait se faire coquine à l’occasion non sans un brin d’humour. La voilà par exemple qui écrit : je te baise depuis la tête jusqu’aux pieds in naturalibus, ou encore, je ne t’ai pas encore entrevu mon cher petit homme mais je ne me gêne pas pour entrer dans ta chambre et même pour me fourrer sous tes couvertures… et le reste tant pis pour moi si votre pudeur en rougit mais c’est comme cela, et surtout : je viens de vous saluer dans votre grand uniforme d’Adam et je dois avouer que cette tenue vous va bien. Voltaire se montre un peu plus grivois lorsqu’il s’adresse par exemple à Marie Louise Mignot, dite Mme Denis, sa jeune nièce et par ailleurs également sa dulcinée : Je vous embrasse mille fois. Mon âme embrasse la vôtre, mon vit et mon cœur sont amoureux de vous. J’embrasse votre gentil cul et toute votre adorable personne !
Lettres cochonnes à Nora
Changement total de registre avec les lettres de James Joyce, l’auteur d’Ulysse, à sa femme Nora, sa petite maîtresse branleuse comme il l’appelle. Des lettres crues et sublimes à la fois. Cent ans après, elles sentent encore le soufre et le foutre ! James Joyce à 22 ans quand il rencontre Nora. Elle en a 20, et n’a pas froid aux yeux, avoue James lui-même : Ce n’est pas moi qui t’ai touchée le premier il y a longtemps à Ringsend. C’est toi qui as glissé ta main lentement à l’intérieur de mon pantalon et qui as sorti ma chemise et as touché ma bitte de tes longs doigts qui me chatouillaient et qui l’as entièrement sortie, toute grosse et raide qu’elle était, dans ta main et m’as branlé lentement jusqu’à ce qu’elle gicle à travers tes doigts, et pendant tout ce temps tu étais penchée sur moi et tu me contemplais de tes calmes yeux de sainte. Des réponses de Nora, on ne sait rien. Son courrier n’a jamais été retrouvé. Mais tout porte à croire qu’elle lui répondait sur le même ton !
Trotskisme érotique
Même le révolutionnaire Trotski échange en son temps des billets graveleux avec sa femme, Natalia Sedova. L’une de ces missives a été rédigée le 19 juillet 1937, lors d’une des rares séparations du couple russe. Il y est question de membre qui ne bande plus guère, de fourrer quelque chose et d’endroits caverneux. Elle se termine par une promesse des plus explicites : Nataliouchka ma douce, je vais te baiser de toutes mes forces avec ma langue et avec ma queue ! Comme quoi on peut être militant marxiste et attiré par les plaisirs bourgeois.
Correspondants de guerre
Quand nous disions, ci-dessus, que l’on ne sait rien des courriers enflammés que s’échangeaient jadis nos humbles grands-parents, c’est sans doute un peu faux. Bien des greniers, bien de malles anciennes, ont sans doute révélé à des descendants un peu ébahis, les badinages épistolaires de leurs ancêtres. Il arrive aussi, comme avec les personnages célèbres, que certains de ces courriers intimes passent à la postérité. C’est le cas de la correspondance de Constant M. et de sa femme Gabrielle, deux époux séparés par la guerre, dont les étonnantes lettres, six cents en tout, furent retrouvées bien plus tard par la petite-nièce du premier et publiées sous la forme d’un livre (*). Mobilisé en 1915, Constant quitte sa femme, son Jura natal et son commerce de vins pour l’enfer des tranchées. Le manque d’intimité amoureuse autant que l’horreur des combats et l’omniprésence de la mort, donnent petit à petit lieu entre les deux époux, à une correspondance incandescente, faite de récits de rêves érotiques, de conseils de masturbation, de photos pornographiques, de poils pubiens emballés dans du papier d’Arménie et même flacons de sperme envoyés par courrier ! Pendant que Gabrielle adresse des millions de coups de languette au sexe de son mari et lui demande de ne pas trop souvent faire menotte, de manière à lui réserver ce jet délicieux, sa bonne liqueur (**), Constant lui, compare pour sa part ses éjaculations solitaires aux inondations de 1910 ou écrit, je mets bien loin tout au fond ma languette dans la petite lulette, comme il a pris l’habitude de surnommer le sexe de sa femme ! Une liberté de ton et un amour inouï malheureusement brisé par la mort de Constant à Salonique en 1916, dont il ne reste aujourd’hui que le souvenir et des lettres jaunies par le temps.
(*) Des tranchées à l’alcôve : Correspondance amoureuse et érotique pendant la Grande Guerre. Constant M., Gabrielle M., Martine Bazennerye. Ed. Imago.
(**) Les époux ont déjà eu la chance de se rencontrer clandestinement derrière le front et espèrent bien recommencer très rapidement !
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Illustration TaraM