Michel Clair pratique des photos comme un flibustier au grand cœur. Il a déjà publié deux bouquins, reçu différents prix, mais ne se considère toujours pas comme un « vrai » photographe. Pourtant ces images sont viscérales, urgentes et tendres aussi. Il ne croit pas au sauveur, à celui qui remettra le monde sur ses rails. Il veut juste nous prendre par le regard pour qu’on fixe autrement ce qu’on a sous les yeux.
Comment êtes-vous venu à la photo ?
Je ne pensais jamais que j’allais en faire mon activité principale. J’avais un père militaire qui était passionné de photographie. Il a souvent été au Congo, c’était le Zaïre à l’époque, d’où il ramenait des photos fabuleuses. Au village d’où je viens, on n’avait pas la télévision et quand il revenait du Congo, on faisait des petites séances de diapositives. On éteignait toutes les lumières et on se croyait au cinéma. J’étais émerveillé par les couleurs, les femmes, les fleurs, les hommes, bref tout ce qui fait ce pays. Je n’entendais plus le discours de mon père qui se foutait un peu de leur gueule, j’étais en train de rêver. C’était ma première approche de la photo. A la maison, il y avait des appareils photos et, très vite, j’ai eu un en main. Comme j’étais un assez mauvais élève en secondaire, on m’a mis à l’internat, et à l’internat ils organisaient un atelier photo. C’est là que j’ai appris à travailler en noir et blanc et à développer les pellicules. Pour moi, c’était plus un hobby qu’autre chose, puisque je voulais devenir rock n’ roll star. J’ai monté des groupes punk, puis j’ai fait de la chanson française et sorti quelques 45 tours. Je ne faisais plus de photo, puis je reprenais occasionnellement et je rachetais un appareil photo que je revendais aussitôt que j’avais besoin de pognon. Il y a une quinzaine d’années, je me suis retrouvé au chômage. Tout à coup, j’ai eu beaucoup de temps pour moi. Et là tout m’est revenu. J’ai refait de la photo, et depuis, je ne lâche plus.
Étiez-vous attiré par les photos des autres ?
Oui, mais sans retenir les noms, contrairement à la musique. Quand j’aimais un groupe, je voulais connaître les noms des musiciens, savoir avec qui ils avaient joué, remonter le fil des reprises. Alors qu’en photo, j’étais plus intéressé par l’image que par son auteur. Je connais le nom des grands photographes, mais je ne parviens pas toujours à faire le lien avec leurs photos. C’est d’abord l’image qui m’intéresse.
La musique et le rock en particulier sont fort liés à l’image?
Ah oui bien sur. Les pochettes de disque vinyle, c’était fabuleux. J’ai souvent voulu écouter des disques parce que l’image de la pochette était intéressante, intrigante ou m’attirait. C’est le pouvoir de l’image
Vos photos sont fort centrées sur la Belgique, c’est par choix ou facilité ?
J’aime la Belgique et j’y vis. Comme je me balade toujours avec mon appareil photo, l’essentiel de mes photos concernent ce territoire, mais c’est la même chose si je suis en France, en, Espagne, au Portugal ou au Maroc. Ce n’est donc pas vraiment un choix. Mais sinon, j’aime bien creuser l’endroit où je vis. On a longtemps dit que j’étais un photographe de la ville, mais dès que je suis à la campagne, je fais des photos de la campagne. Ça m’intéresse tout autant, même si dans la ville il y a de la matière pour la photo. Ceci dit, je ne suis pas tellement un photographe paysager, ni animalier.
Dans vos photos, vous traquez une trace humaine …?
Oui, une trace humaine forcément, car l’humain soit il construit et fait quelque chose, soit c’est la destruction, mais il reste toujours des traces.
Partez-vous en chasse d’images ou c’est le fruit du hasard ?
Je peux passer des jours sans faire de photo. Et puis un jour en passant devant un endroit que j’ai vu dix fois, vingt fois, il y a quelque chose qui me dit de sortir mon appareil et de pousser sur le bouton. Pourquoi ? Parce que j’étais dans un état particulier qui m’a fait voir et ressentir des choses. Je ne pars jamais en chasse de photos. J’ai besoin de cette impulsion, c’est pour ça que je n’aime pas les concours avec des thèmes et des contraintes.
Parfois, j’ai l’impression que les paysages vous posent des questions et que vous y répondez ?
Il y a de ça. Le nombre de fois où, alors que je suis en voiture, je me suis arrêté là où le code de la route l’interdit parce que c’est à ce moment là et suivant cet angle précis que je dois faire la photo. Comme s’il y avait une sorte de révélation.
Qu’est-ce qui peut vous inspirer, la peinture par exemple ?
Inconsciemment ça peut m’arriver mais c’est rarement visible. Un peintre que j’adore c’est Francis Bacon. Je le connais depuis très longtemps. J’ai lu quelques livres sur lui. Et bizarrement, je me sens assez proche de sa façon de travailler, même si ma photo ne sera jamais une peinture de Bacon et qu’il est bien au-dessus. Mais pourtant dans la démarche, je sens quelque chose. C’est marrant parce qu’avec mes photos, comme je les retravaille à l’ordinateur, je me suis déjà demandé si j’étais un photographe ou un peintre, puisque ma souris c’est mon pinceau.
Le réel, c’est juste un point de départ ?
Une photo ne sera jamais la réalité, jamais, jamais, jamais. Aussi fidèle soit-elle, elle ne sera jamais la réalité que de ce qu’il y a sur papier et ce que l’œil voit. C’est une image et pas la réalité. L’objectif de mon travail sur la photo, c’est d’essayer de rendre cette réalité que j’ai ressentie.
Cherchez-vous des endroits qui cadrent avec votre univers ou tout peut être photogénique ?
Si je suis devant un coucher de soleil et que je me sens vraiment bien, je n’ai pas envie de le prendre en photo, j’ai envie de me laisser prendre par le soleil et par la nature. Ce qui m’intéresse, c’est quand la beauté rejoint la laideur, où vice-versa. Un clochard me touche plus qu’un col blanc en jaguar. J’ai plus d’émotion à voir un type dans la rue qu’un type dans son appartement à cinq millions. Si je prends un SDF en photo, c’est parce que ça me fait trop mal et il faut que j’en parle. Ce n’est pas du tout du voyeurisme. Je ne peux pas garder ça pour moi tout seul, il faut que j’en parle, que je le dénonce. Tout ce que l’homme a fait de beau, ou très très beau, a toujours été étalé dans les magazines. Des images comme ça on en a plein, donc je préfère montrer ce que l’homme a détruit ou bousillé, ou ce qu’il en reste. Parfois des choses peuvent devenir belles parce qu’elles ont tenu le coup. Les déchirures et les failles m’intéressent plus que les choses lisses.
C’est pour ça que vous préférez les ciels très chargés ?
Je les aimes bien parce qu’ils veulent dire des choses. C’est ça qui me parle. C’est comme avec les paysages. Souvent par une belle journée d’été, quelqu’un va me dire : « Oh Michel Tu as vu le temps, tu vas pouvoir faire de belles photos. » Et j’ai envie de leur répondre : « Mais non j’aimerais bien qu’il y ait de gros nuages, un ciel menaçant parce qu’avec le soleil, ça fait de mauvaises ombres, il y a trop de lumière. » Je préfère faire des photos dans le gris, sur un ciel chargé parce qu’il y a plus de choses dedans.
Dans vos portraits de rue ou de bistro, il y a souvent beaucoup de choses, juste dans le regard
Les personnes que j’ai photographiées me disent souvent « Qu’est-ce que je suis moche sur cette photo ! » Alors je réponds : « C’est toi qui te vois comme ça, tout le monde te trouve très belle, très beau. » Ce qui est vrai. Par contre, il y a des gens que j’ai pris en photo dans des conditions qui n’étaient pas toujours à leur avantage et qui ont pleuré en disant merci. « Tu es le premier à faire une photo où je suis réellement moi. » Les gens pleuraient. Quelque chose passe par le regard, par la confiance. Et par le bon moment. Oui, c’est un drôle de truc.
Michel Clair, Shoot
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